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Musique

Sufjan Stevens: l’adieu à l’enfance

Radio Vostok | 16 septembre 2015


En regardant sa discographie, on pourrait croire que Sufjan Stevens a appris à se faire rare : cinq albums entre 2000 et 2005, puis seulement deux depuis le succès d’Illinois en 2005, donc le dernier, Carrie & Lowell, sorti cette année, et la tournée qui le ramène enfin trainer son banjo mélancolique sur les scènes européennes.
Peu d’albums mais beaucoup de projets ces dix dernières années: des collaborations, des EPs entre potes, un cycle sur les planètes du système solaire, des chansons de noël, une symphonie sur le métro newyorkais. Il a quitté le Michigan pour Brooklyn, la Mecque des hipsters à barbe carburant aux «organic latte». Pas d’extravagance capillaire pour cacher la pureté absolue de ses yeux bleus. À quarante ans, on lui en donnerait dix de moins. Contrairement aux porteurs de chemises de bucheron de Williamsburg, il vient bien, lui, du Midwest et des grands lacs, de ce ventre mou, vide malgré les grattes ciel, de l’Amérique qu’on dit «profonde» quand elle n’est souvent que désœuvrée.
Et c’est là où il revient en 2015 avec cet album d’une nostalgie d’autant plus poignante qu’elle se confesse, à demi mot, pleine d’amertume. C’est la saison des retours: retour au folk d’abord, loin des extravagances électroniques que lui avait inspiré son voyage intérieur dans The Age of Adz, retour à l’enfance ensuite, puis retour à l’Oregon de sa mère (en contraste avec le Michigan de son 3e album où il a grandi avec son père). Carrie c’est elle, on le devine sur la pochette, un vieux polaroïd. Elle a les yeux à moitié fermés, déjà loin. À côté d’elle, Lowell, le beau père de Sufjan, le co-fondateur de sa maison de disque. Partie du foyer quand Sufjan avait un an, instable et fantasque, disparue en 2012, cette douloureuse figure maternelle hante ce disque crépusculaire.
Sous une voix si douce qu’elle semble presque voilée, couverte par l’orchestration sur certains titres, se cachent des pépites de douleur. Inventaire de souvenirs d’enfance, de trips familiaux qui ne sont jamais aussi heureux que planifiés ; Sufjan Stevens ne cache rien de sa difficulté qu’il y a à vivre avec, puis à vivre après cette mère aimante. Onze titres aux textes que la tristesse et l’amour n’oublient pas de ciseler avec une précision et une poésie parfois pétrifiante, comme une eau trop fraîche à la sortie de l’été.
«Since I was old enough to speak I’ve said it with alarm/Some part of me was lost in your sleeve/Where you hid your cigarettes/No I’ll never forget/I just want to be near you» chante-t-il sur une guitare faussement légère, dans «Eugene».
Dans un entretien à Pitchfork, il déclarait «L’amour est inconditionnel et incompréhensible. Je crois qu’il est possible d’aimer sans se témoigner de respect mutuel.» On comprend alors pourquoi l’album s’ouvre sur «Death with dignity», un pardon à sa mère mais sans absolution: «Well, I got nothing to prove/I forgive you, mother, I can hear you/…/But every road leads to an end.»
Sufjan Stevens, à retrouver pour les chanceux, le 20 septembre au Théâtre du Léman ; à savourer pour les autres, les yeux fermés sur les grandes plaines amères de l’enfance.
 

 
Sarah I Publié le 16 septembre 2015
Crédit photo de une : ©
 

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