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CultureExposLa Quotidienne

Les travailleuses du sexe transgenre du Bois de Boulogne

Céline | 14 février 2024

Aujourd’hui, je vous emmène aux Bois de Boulogne. Pour y arriver, j’ai d’abord poussé la porte de la galerie Brülhart aux Eaux-Vives. Sa dernière exposition s’intéresse au quotidien des travailleuses du sexe transgenre dans ces célèbres bois parisiens.

À peine entrée, mon regard est attiré par des immenses cartons dépliés et accrochés aux murs. Ce choix de support n’est pas anodin. Vous comprendrez plus tard pourquoi.

Dessus, des corps nus sont peints en noir. Comme des ombres qui se détachent sur des fonds très colorés : rouge coquelicot, bleu turquoise, vert pomme. Les dessins représentent essentiellement des femmes ou des personnes trans. Leurs attributs sexuels sont exagérés. Certains sont encore rehaussés avec des strasses ou des couleurs vives. Les images sont à la fois très crues et naïves. C’est beau et en même temps, on sent qu’il y a beaucoup de colère et de souffrance derrière.

Heureusement, Mona Brülhart, la directrice de la galerie, est présente. Elle vient spontanément m’éclairer sur le travail de Willys Kezi Niangi, la plasticienne congolaise qu’elle accueille dans ses murs.

Pour la petite histoire, Mona Brülhart a longtemps travaillé pour le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, le HCR. Elle a vécu notamment en Somalie, au Rwanda, au Burundi, en Mauritanie ou encore au Liberia. C’est à la suite d’une rencontre marquante avec la peintre sud-africaine Esther Malangu, en 2019, qu’elle a eu envie d’ouvrir une galerie. Elle voulait créer un lieu pour promouvoir les artistes contemporaines de ce continent. C’est ainsi qu’est née en 2020 la galerie Brülhart à la rue des Vollandes.

Mona Brülhart a découvert Willys Kezi Niangi il y a quelques années dans une autre galerie, à Carouge. L’artiste y exposait une série de portraits de femmes… Sans tête. C’est un peu sa spécialité. C’est une manière pour elle de dénoncer le regard des hommes sur les femmes. Seul le corps compte ; la femme ne pense pas, ne réfléchit pas, n’a pas d’idée. La galeriste a tout de suite été séduite par son trait de pinceau et son point de vue féministe, une posture apparemment pas si fréquente dans l’art africain.

Aux Eaux-Vives, Willys Kezi Niangi s’attaque à un nouveau sujet : le Bois de Boulogne. Ce vaste lieu de prostitution est vu par l’artiste comme un espace où se mêlent le loisir, la consommation, le capitalisme, la détente, le jour, la nuit… Mais surtout comme un terrain où se reproduisent toutes sortes d’inégalités et d’exploitations.

Elle a choisi cette thématique après avoir rencontré par hasard une travailleuse du sexe transgenre qui lui a raconté son quotidien. Willys Kezi Niangi a été touchée par son histoire. Elle s’est directement identifiée à ces personnes trans, étrangères et racisées. Elles lui rappelaient les discriminations qu’elle-même a subies en tant qu’Africaine.

Suite à ce premier contact, la plasticienne a rencontré d’autres travailleuses du sexe. Les échanges ont eu lieu au Bois de Boulogne ou dans son atelier. Aucune n’a posé pour elle. Toutes les peintures sont inspirées de son imagination.

Mais pourquoi exposer des vieux cartons, vous demandez certainement. Au Bois de Boulogne, les rapports sexuels ont lieu sur ces larges emballages dépliés et posés à plat sur le sol. Willys Kezi Niangi est allée en récupérer sur place. Elle a donc peint des supports qui ont été utilisés.

Ses œuvres sont truffées de détails. Tous ont leur importance. On peut rester des longues minutes devant chaque tableau à essayer de tout décoder. Il y a des dizaines de petits personnages dessinés dans les corps qui rappellent sa vie à Kinshasa. Il y a aussi des messages plus ou moins ironiques écrits à même le carton, et beaucoup d’allusions au luxe et à l’argent. Willys Kezi Niangi critique cet attrait pour les marques et tout ce qui brille qu’elle voit chez beaucoup de personnes qui se prostituent.

Tout au fond de la salle, deux tableaux se démarquent du reste. Sur ceux-là, les femmes-là ont des visages. Les œuvres s’inspirent des peintures tahitiennes de Paul Gauguin. L’artiste revisite ces scènes en dénonçant leur côté très colonial. Dans son style à elle, elle montre la vulnérabilité de ces jeunes filles de couleur face à cet homme blanc qui, je le rappelle, a quand même épousé une Tahitienne de 13 ans.

Plus de cent ans ont passé depuis les toiles de Gauguin à Tahiti. L’époque des colonies nous paraît loin. Mais est-ce que les rapports de domination ont réellement changé pour les personnes racisées ? Le parallèle que fait l’artiste avec les personnes trans et migrantes d’aujourd’hui en dit long…

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Chronique : Céline
Animation : Emma
Réalisation : Sébastien
Crédit image vignette : Willys Kezi Niangi – DR
Crédit image fond : Willys Kezi Niangi – Céline
Première diffusion antenne : 7 février 2024
Mise en ligne : Céline
Publié le 14 février 2024

Une publication de Céline


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