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L’envol de Tasha Rumley : « À l’amour. À la mort « 

Pierre | 4 mai 2022

Il y a une année, j’ai eu le plaisir de découvrir Tasla Rumley une jeune auteure. J’étais charmé par le style de l’écriture et le pouvoir narratif de la nouvelle qu’elle avait déposé sur un site dédié à l’écriture, Webstory.

Les histoires de TASHA RUMLEY sur webstory.ch


Cette écrivaine en herbe rêvait de pouvoir éditer les nombreuses histoires qui patientaient au fond de ses tiroirs. Le songe vient de prendre forme grâce à Bernard Campiche éditeur.
Je tiens dans les mains l’ouvrage tel un fruit fraichement cueilli.
Ce sera l’objet de ma chronique du jour.
Sur la jaquette du livre il y a une belle photo.
Il s’agit d’une jeune fille qui repose dans un fauteuil ancien.
La lumière d’une fenêtre découvre son corps.
Le regard est perdu, entouré d’une lourde tapisserie aux motifs floraux.
La photo qui couvre le recto et le verso se voit divisée en deux.
La jeune fille apparait assise sur un fauteuil avec le titre mais disparait sur le dos, il ne reste plus qu’un deuxième fauteuil vide à côté d’un téléviseur éteint. Cette photo est tirée du reportage de Niels Ackermann qui a suivi la transformation de Loulia, de l’adolescence à l’âge adulte non loin de la centrale de Tchernobyl en Ukraine.
« À L’AMOUR À LA MORT » se compose de sept nouvelles.
La première nommée « BAMBI », nom relique d’une des premières productions des films Disney, apparaît comme une ouverture d’opéra. On y joue les motifs à venir sans les développer. On y joue des assonances tel un exercice de style. On y découvre l’idylle d’un jeune couple qui roule en toute insouciance sur un chemin de campagne. Ce premier mouvement nous indique qu’ici l’innocence peut être mise en danger et que les malheurs viennent par paire.
La deuxième nouvelle se nomme : « L’HEURE MORTE »
« On la nomme : « l’heure morte ». À 4 heures du matin insomniaque, il fait nuit depuis toujours. À 4h du matin, pour le désespéré, le soleil est encore si loin qu’il ne sera plus jamais demain. »
Une histoire d’amitié, la rencontre de deux femmes, de deux cultures. Il y a la narratrice et Aygul, sa colocataire. Partager un lieu de vie, n’est pas chose aisée, partager c’est la conjugaison du quotidien. Mettre en commun un lieu de vie et un lieu de travail permet de raconter la distance qui sépare l’acceptation de l’autre jusqu’à l’amitié. Je perçois dans ce récit, une forte charge émotionnelle : si la fiction crée une sorte d’anonymat d’un vécu, les sentiments sont vrais. Aygul va découvrir la Suisse, l’assimiler avant de reprendre son envol. La narratrice lentement va perdre le fil qui les reliait ensemble.
« À chaque téléphone, Aygul et moi jurions qu’on se parlerait plus souvent, que c’était si bon de s’entendre, et patati, patata. En vain. Dans les faits, on ne s’appelait même pas une fois par mois. Nos conversations avaient pris la tangente, plus rien de ce que nous nous racontions ne nous concernait, ni l’une ni l’autre. Je lui parlais de mon nouveau poste, du stress, des collègues, parfois d’une expo ou d’un spectacle ; elle faisait à peine mieux, elle parvenait à agrémenter les récits de logement et de tracasseries administratives de quelques descriptions grandiloquentes des paysages argentins. Ces dialogues fades nous maintenaient prisonnières de chaque appel, qu’on ne pouvait décemment pas terminer après dix minutes, alors on meublait sans fin. J’en ressortais contrite, les joues brûlantes de la gêne et de la pression trop forte de l’appareil contre ma joue. Après cela, c’était certain qu’on procrastinerait durant des semaines avant de s’infliger un nouvel appel. Je regrettais cette époque que je n’avais jamais connue vraiment, où les tarifs prohibitifs du téléphone fixe réduisaient à quelques instants essentiels les conversations transatlantiques. La rareté imposée nous aurait soulagées. »
La prochaine histoire se nomme: « Petit frère ». Elle débute par le suicide d’un jeune père.
« Les films se moquent de nous, s’était dit Christian, à nous faire croire que celui qui s’en va sème sur son chemin des paroles éternelles ou des révélations cachées entre les pages d’un livre favori. Celui qui s’en va n’a plus rien à dire, encore moins de vérités à partager. S’il en avait, il ne s’en irait pas. »
Contrairement au personnage il y a dans l’écriture De Tasha comme une tentative d’atteindre la réalité de l’ensemble de ces non-dits, de ce qui fait silence et ne peut se comprendre qu’en disséquant un quotidien. Les films qui plus est les livres ne se moquent pas de nous, ils tentent de récolter des paroles fugaces ou faire apparaître des révélations enfouies dans le magma du quotidien. Celui qui, s’en va, a un trop plein de mots, une accumulation de mensonges, et peut-être, il n’en supporte plus le poids.
Un peu comme la photographie, il y a ce qui apparait dans le cadre mais aussi tout ce que l’on devine dans le hors-champ.
Je ne vais pas poursuivre l’énumération, ni la description thématique des sujets abordés. Non pas que je ne serais pas aller au bout de l’ouvrage mais cette approche par trop scolaire me parait fastidieuse. Je témoignerai qu’au fil des pages les récits montent en intensité.
Les cycles de la vie construisent les récits de Tasha. Les personnages sont habités par les personnes disparues, elle glisse l’air de rien entre les vivants et les morts. Les décors sont décrits avec précision, offrant aux lecteurs, le plaisir de glisser dans ceux-ci. Les histoires sont faites de ruptures, d’ellipses mais toujours maîtrisées pour permettre la communion entre les esprits de la créatrice et la nôtre.
Il y a aussi l’écriture féminine, le point de vue féminin. Dans ces écrits, l’homme joue souvent un rôle mineur jusqu’à parfois n’être qu’une fonction. On parle de « sérosité », ce terme qui serait le pendant de fraternité. De mon point de vue d’homme c’est intéressant et j’avoue que je serais plus attentif à la lecture des auteurs mâles sur la place laissée au monde féminin.

« À L’AMOUR À LA MORT » de Tasha Rumley aux éditions Campiche . (Tasha sera présente au prochain salon de livre de Genève le 21 mai prochain).

Chronique: Pierre
Lecture des extraits : Catherine
Animation : Charly
Réalisation : Carla
Production: Angie
Crédit photo : Niels Ackermann
Fond sonore : Yehezkel Raz
Emission du : 2 mai 22
Mise en ligne : 4 mai 22

Une publication de Pierre


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