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De l’inconvénient d’être russe, récit d’une femme déçue

Martin | 17 octobre 2023

Le titre n’est pas sans rappeler le livre d’Emile Cioran : De l’inconvénient d’être né. Cioran célébrait ce moment d’avant notre naissance, où nous n’étions rien, où le monde n’exigeait pas de nous la difficile tâche d’incarner l’être que nous sommes. Dans De l’inconvénient d’être russe, Diana Filipova semble encore resserrer cette problématique à son pays d’origine.

Filippova dresse l’anatomie d’une catastrophe, à la chute de l’URSS, quand la pauvreté et la faim saisissent le pays. Le régime communiste n’est plus. Mais la liberté ne prend pas la forme promise. Les richesses sont maintenant concentrées entre les mains de quelques puissants. Beaucoup de Russes sont obligés de fuir le pays.
Diana Filippova raconte son arrivée en France et sa difficulté d’intégration dans un pays qui ne la considère pas. Elle ne parle pas la langue, ne connait pas les codes. Ses parents, pourtant de brillants scientifiques, sont contraint de repasser leurs doctorats. Ils vivent en HLM, seul logement que leurs maigres salaires peuvent financer.

Joseph Brodsky, un écrivain russe exilé aux États-Unis, disait que « l’exil est l’ultime leçon d’humilité ». Mais Diana Filippova précise bien qu’avant d’être une leçon d’humilité, l’immigration est surtout une expérience d’humiliation.
Dans les années 90, les Russes n’avaient pas encore pris la mesure du statut de leur pays à l’international. Encore moins de l’image qu’il renvoyait à l’Occident. Il y a 100 ans, la Russie des tsars était un grand empire, un des seuls parvenus à repousser Napoléon. Pendant la guerre froide, l’union soviétique a fait trembler les États-Unis. Mais aujourd’hui, ce n’est plus qu’un pays de seconde zone, qui, jadis fort et fier, se retrouve faible et dans la misère.
Pour les Russes restés au pays, cette honte se transformera vite en jalousie et en rancœur. Et rien n’est plus manipulable qu’une nation blessée, rêvant de retrouver sa grandeur d’antan.
Elle nous parle de sa vocation pour l’écriture, issue d’ailleurs d’un instinct typiquement russe. Dans un climat politique où la moindre dissidence peut être punie d’une peine démesurée, la seule voix du peuple russes, ce sont les écrivains. Il sera donc aussi question de Dostoïevski, Nabokov, Tchekhov, Pouchkine et bien d’autres.
Elle dira enfin que la Russie, c’est aussi un peuple trop longtemps ignoré, qui a fini par perdre la volonté de s’exprimer. Mais comment les juger ? Nous qui n’avons jamais été à leur place. Nous qui tenons pour acquis notre droit à la libre expression. Nous qui n’avons aucune idée de ce que c’est d’être envoyé sur le front pour une phrase de travers, d’être entouré de proches qui chantent la gloire de la sainte Russie et prônent un retour à l’union soviétique. Nous qui ne risquons pas le goulag pour avoir brandi une affiche.

J’ai trouvé cet essai intelligent, bien documenté, riche en exemples. On comprend comment le pays a pu se radicaliser sur les dernières années, et comme il a été facile pour Poutine de désigner l’Occident comme le véritable ennemi responsable de leur situation actuelle.
L’histoire du pays sur les deux derniers siècles, nous éclaire sur la mentalité russe, sur leurs préoccupations, et leurs dispositions actuelles. Le « Mat’ » – une sorte d’argot issu des prisons qui utilise des paroles très violentes et agressives – est aujourd’hui parlé couramment dans les hautes sphères du pouvoir, ce qui donne des indices quant à la position des dirigeants face à l’occident. Il se mêle à un russe simplifié, plein de diminutifs, qui parle au peuple comme on parle à des enfants.
La transformation s’est donc aussi faite à travers la langue. Une situation qui n’est pas sans rappeler le roman 1984, de George Orwell.

La chronologie des chapitres laisse parfois à désirer, mais le livre est assez court pour que ce ne soit pas un problème.
Fllippova embrasse son histoire intime pour en faire une fresque globale, et nous témoigne à la fois son affection et sa rancœur pour ce pays dont elle essaye de se séparer définitivement.


Chronique : Martin
Animation : Emma
Réalisation sonore : Molham et Martin
Première diffusion antenne : 16 octobre 2023
Mise en ligne : Martin
Crédit photo : Martin
Publié le 17 octobre 2023

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