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CultureExposLa Quotidienne

Voir l’invisible : quand l’art brut fait voir les morts

Michaël Rolli | 14 février 2025

Des dessins inspirés par les voix d’esprits, des écrits prophétiques sur l’Apocalypse, en passant par des peintures censées éloigner le mauvais sort… On trouve tout ça en ce moment au Musée International de la Réforme.

Franchement, rien de plus étonnant que de franchir la porte du Musée de la Réforme et de tomber là-dessus ! À côté de la cathédrale, dans la cité de Calvin, on s’attendrait plutôt à une rétrospective de bibles et à un défilé d’habits noirs austères, mais là c’est bien autre chose. Bon, l’exposition permanente est toujours là et elle est vraiment très intéressante, d’autant plus pour nous genevois. Mais l’expo temporaire, c’est un autre monde, un au-delà même, où l’univers divin, celui des morts et le nôtre s’entrechoquent. Une porte ouverte sur des forces surnaturelles qui laissent place parfois à une forme de folie… créatrice ! En gros, on est dans un monde de non-artistes, où l’art ne vient pas de la technique, mais d’un flot de forces psychologiques ou même spirituelles. C’est donc ça, l’exposition d’art brut qui s’appelle « Voir l’invisible ».

Alors… c’est quoi l’art brut ?

L’art brut c’est un peu comme le phénomène michelada – t’sais la bière avec le jus de tomate ou le tabasco… un truc un peu fou, que quand tu le vois sur la carte, tu te demandes si ça existe vraiment ? Puis tu te laisses emporter et, finalement, tu te dis : « En fait, c’est pas si mal ! » Et ben pour l’art brut, il faut vraiment oser se laisser emporter, ça vaut la peine ! En fait, c’est de l’art, fait par des personnes qui ne sont pas des artistes. Alors là, je les entends, toutes celles et ceux qui disent « Bah si moi aussi je peux le faire, c’est que c’est pas de l’art… » Et c’est vrai que c’est un style qui peut parfois ressembler aux dessins que tu faisais au fond de la classe en math, mais là avec une sacrée profondeur… spirituelle évidemment. En fait, c’est le peintre français Jean Dubuffet qui a théorisé le concept et formé la première collection en 1945, rassemblant des objets créés par des personnes marginales : donc des patient·es d’hôpitaux psychiatriques, des détenu·e·s, des solitaires ou encore des réprouvé·es. En gros des personnes qui n’ont, semble-t-il, pas de culture ou d’étude artistique, mais qui ont créé dans une urgence souvent métaphysique.

Ça promet quelque chose d’intense !

Et quoi de mieux que de parler d’esprits, de voix qu’on entend, de divinités pour plonger dans les profondeurs de l’art brut. Lucienne Peiry, la commissaire de l’expo, qui a d’ailleurs été la directrice de la collection de Lausanne pendant 10ans, l’explique bien : les artistes bruts sont obsédés par l’invisible, l’au-delà et surtout… la mort. Leurs œuvres sont comme des portes entre deux mondes, parfois faisant revivre les défunts, parfois conjurant le mauvais sort. C’est le cas par exemple de Jeanne Laporte-Fromage, une Française qui a réalisé une robe d’apparat pour rejoindre son défunt mari. Oui, tu as bien entendu : une robe pour traverser l’au-delà… certainement la robe que Demi Moore aurait dû porter pour revoir Patrick Swayze dans Ghost…

Visuellement c’est…

Eh bien, il y a partout une force d’expression : les couleurs sont vives, les traits des coutures, mais aussi des crayons ou des pinceaux sont expressifs, parfois formant des vagues, d’autres fois des angles. Et le tout oscille entre un monde figuratif (des animaux, des divinités zoomorphes) et un monde totalement abstrait. Ce qui les rend un peu similaires aux dessins d’enfants, c’est l’absence de perspective, de composition et la grande simplicité du geste, mais aussi du matériau utilisé. Par exemple, l’Allemande Marie Lieb forme des cieux imaginaires et éphémères avec des bandes de tissus récupérés et posés sur le sol de sa chambre d’hôpital. Une façon de guérir de son deuil. Elle accompagne d’ailleurs aussi ses créations de cadavres de mouche et de nourriture.

Bon, là on veut du surnaturel !

Des esprits, il y en a beaucoup ! L’expo débute d’ailleurs avec les petites marionnettes en papier de la Balinaise Ni Tanjung qui en colorie les visages à la craie. Après la mort de ses enfants, elle s’isole complètement dans une cabane sans fenêtre et là, la nuit, elle joue des spectacles à la lumière d’une ampoule, invoquant les esprits de ses proches disparus. // Toujours dans le registre des voix et des esprits, on a aussi les peintures de guinéen Noviadi Angkasapura. Il raconte que le jour de ses 24 ans, un être surnaturel lui a donné une mission divine : dessiner et écrire pour répandre l’honnêteté et la patience… rien que ça. Et là, il se met à dessiner des créatures anthropomorphes complètements irréelles…. le tout dans un univers sans décor. Le genre de créatures qui peut donner des frissons.

Et le bouquet final, c’est évidemment le cercueil en forme de coq.

Exact, une sorte de cercueil personnalisé en forme de coq rouge… bon après les robes de Lady Gaga plus rien ne me surprend. Le tout me rappelle l’inquiétante étrangeté de Freud avec un caractère parfaitement esthétique. En tout cas, l’exposition d’art brut au Musée International de la Réforme nous permet, jusqu’au 1er juin, de voir l’invisible, de plonger dans un monde étrange où la poésie, la mort et les couleurs se mélangent. Franchement, faire un petit tour dans un monde complètement irraisonné, c’est certainement la meilleure chose à faire pour un date de Saint-Valentin. Et n’oubliez pas, si l’art brut ressemble aux dessins qu’on faisait au collège… ou même sur les murs du collège, l’exposition nous rappelle que c’est bel et bien un art, qui se différencie de la bêtise par la poésie.
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Chronique : Michaël
Animation : Emma
Réalisation : Laure et Sébastien
Crédits images : Nicolas Righetti ©Lundi13
Première diffusion antenne : 12 février 2025
Publié le 14 février 2025

Un contenu à retrouver également sur l'application PlayPodcast

Une publication de Michaël Rolli


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