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Une Maison de Poupée, par amour de l’égalité

Léo | 26 avril 2023

Anne Schwaller présente Une Maison de Poupée , d’Henrik Ibsen, jusqu’au 14 mai 2023 au théâtre de Carouge. Sur les ruines d’un couple bourgeois, la metteure en scène sème les graines d’un amour féministe.

L’histoire se passe chez les Helmer, un couple formé par le banquier Torvald et son épouse Nora. Ils s’aiment. En tout cas, comme ils pensent qu’il faut s’aimer. Torvald appelle son épouse “sa petite alouette”, “son petit écureuil”. Nora se conforme comme elle peut aux désirs de son conjoint, en devenant une poupée insouciante qui danse et se déguise pour lui plaire.

Obscurité et déni

Au fond du plateau, un papier peint à fleurs. Au fur et à mesure que se déroule la pièce, le décor évolue, d’abord de façon imperceptible, il se fracture, se dégrade, puis explose. Les murs, les rideaux, les fenêtres, sont des animations créées par les réalisateurs fribourgeois Sam et Fred Guillaume, projetées sur des panneaux de tulle holographique.

C’est un tissu magique, semi-transparent, que l’on peut rendre totalement opaque, comme un écran, en y projetant de la lumière, des images, des vidéos, mais qui est parfaitement translucide lorsqu’il n’est pas éclairé.

C’est aussi une très bonne description de l’écriture d’Ibsen. L’auteur norvégien travaille dans une forme de clair-obscur. Les protagonistes d’ Une Maison de Poupée évoluent dans le déni, la mauvaise foi, le mensonge. Ils s’enferment dans des rôles et des convenances, et il faut aller chercher au-delà de leurs mots la réalité de leurs émotions. C’est un style qui évoque celui de Tchekhov, dont les héros aussi passent leur temps à passer à côté de leur vie.

D’ailleurs, il y a un médecin, dans Une Maison de Poupée , le docteur Rank. Il est vieux, malade, il va mourir mais n’en parle pas. Quand il rend visite pour la dernière fois aux Helmer, il leur dit: “chez vous c’est la paix et le bien-être, vous êtes heureux”. Sauf qu’évidemment, nous, les spectateurs, voyons à travers le décor, au-delà des mots, et ce qu’on y perçoit, ça n’est pas la paix, pas le bien-être, pas le bonheur, malgré les apparences.

Mensonge et sincérité

C’est que Nora cache quelque chose. Plusieurs années en arrière, elle a menti. Elle a contracté un emprunt sans le dire, pour offrir à son mari, alors malade, une cure en Italie. Elle a transgressé la loi en signant à la place de son père. Elle a commis un faux, ce qui ne se fait pas quand on est la femme du Directeur de la banque. Elle a trahi la confiance et les valeurs de Torvald, qui a toujours refusé, avec cette intransigeance toute masculine, que le couple contracte la moindre dette.

Ibsen a conçu sa pièce comme un piège qui se referme, irrésistiblement, sur son héroïne. Un labyrinthe, dans lequel Anne Schwaller nous donne à suivre un fil d’ariane. La sincérité des sentiments et des émotions comme un antidote à la violence, l’inégalité et le mépris. Comme une rédemption possible, une ligne à suivre pour échapper à l’oppression.

Le silence de Nora a ouvert dans le couple une brèche qui à force d’être contenue s’est transformée en trou noir. Il absorbe la pièce, retourne tout. La seule issue, c’est d’y foncer la tête la première.

Basculement et espoir

L’enjeu n’est évidemment pas la culpabilité de cette faute dérisoire, commise avec des intentions louables, dans une société injuste. Derrière le secret de Nora c’est tout à coup le mensonge de sa propre vie qui lui est apparu. Des rôles qui sont attribués à elle et à son mari. Du carcan social qui régule toutes leurs relations. De l’inégalité absolue entre son existence de poupée et la carrière de Monsieur le Directeur. De ses “devoirs sacrés” d’épouse et de mère qui ont écrasé la femme qu’elle est.

Elle explose, d’un coup, change d’identité, bascule d’une autobiographie à une autre. Cette rupture, cette révolte profondément féministe, est ce qui intéresse Anne Schwaller. Elle conçoit un spectacle comme le dispositif d’une révélation, qu’elle ne limite pas seulement à Nora.

La metteure en scène pose un regard empathique, sans jugement, sur l’intransigeance de Torvald ou le chantage de Krogstad, le créancier caché, par qui le scandale arrive. Parce que tous les protagonistes de la pièce sont enfermés, y compris les hommes. Prisonniers de normes et de principes qui les déterminent, restreignent leur langage, leurs attitudes, leurs choix.

Marie Fontannaz interprète Nora, dans une robe bustier sombre empruntée à Rita Hayworth du film Gilda. Dans ce costume de sex-symbol elle esquisse quelques mouvements de danse, désespérée, en attendant que la vérité n’éclate et que sa vie n’implose. Elle donne une puissance tragique, sublime, au personnage dont la révolte rappelle celle d’Antigone, offrant sa vie plutôt que d’obéir à des lois injustes.

Politique de l’intime

Ce que Nora demande, et qu’on lui refuse, c’est simplement un amour nourri par une admiration réciproque plutôt que par la domination unilatérale. Une relation basée sur l’égalité.

Au théâtre de Carouge, la Maison de Poupée d’Anne Schwaller amène la réflexion politique au cœur de l’intimité de nos relations. Là où il ne tient qu’à nous de faire exploser ce modèle archaïque du couple, ce rapport vertical, entre un homme brillant et une femme infantile, qui continue de propager ses stéréotypes.

Passer à autre chose. Oser l’égalité. Même pas au nom d’une société meilleure. Même par pur égoïsme. Simplement pour être plus heureux. Simplement par amour.

Une Maison de Poupée , mise en scène d’Anne Schwaller au Théâtre de Carouge

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Chronique : Léo
Animation : Zebra
Réalisation : Alexis et Sébastien
Première diffusion antenne : 25 Avril 2023
Crédit photos: © Carole Parodi
Publié le 26 Avril 2023

Une publication de Léo


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