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CultureExposLa Quotidienne

Un arctique désenchanté au Centre de la Photographie

Emilie | 2 mars 2023

Avez-vous déjà vu un iceberg sous la pluie ? La question posée par l’artiste d’origine Ouzbek, Anastasia Mityukova, nous interpelle d’emblée sur le réchauffement climatique.

Sujet d’importance et dont la photographe s’empare largement. Mais elle le fait de manière détournée.

Tout commence en 2016, lorsque Anastasia tombe sur un article co-écrit par l’université de Fribourg. Il modélise la fonte des glaces non loin de Thulé, base aérienne du Groenland et signale le possible affleurement d’un ancien complexe militaire. Un réseau de galeries construit par les américains dans les années 40, après l’évacuation de la population autochtone. Dans le contexte de la Guerre froide, le dédale de glace abrite la mission Iceworm avec l’objectif de stocker des missiles nucléaires destinés à défier l’ennemi soviétique. L’artiste sélectionne des archives, illustrants le projet abandonné à la fin des années 60, pour les agrandir et les relever d’un monochrome jaune toxique. Cette première oeuvre donne le ton.

Ici, environnement et récits sont deux faces d’une même pièce. D’un côté il y a les histoires romantiques du Grand Nord qui nourrissent l’imaginaire de l’Anastasia adolescente ; de l’autre, il y a le territoire qu’elle rencontre à l’occasion d’une résidence de deux mois à Quaanaaq, localité la plus septentrionale du Groenland. Je vous le donne en mille : c’est un clash ! Glauques et austères, les lieux qu’elle découvre au fur et à mesure de son séjour sont loins de la littérature à laquelle elle a été biberonnée. Oubliez explorateur.ice.s, igloos et esquimaux, c’est par le prisme de la désillusion qu’il faut aborder le travail de l’artiste qui a grandi à Genève.

Déchets toxiques, épaves de bateaux, infrastructures routières, une série de 25 photos en noir et blanc présentent les indices d’un paysage altéré. Elles sont encadrées dans un petit écrin recouvert d’une vitre dépoli par la gravure de phrases en surimpression. Ainsi par-dessus le cliché d’un tunnel de béton creusé dans la roche, on peut lire « My imagination failed me » – mon imagination m’a fait défaut. Sur le cadavre d’un husky dans l’herbe est écrit : « Did you expect to ses polar bears » ? – tu t’attends à voir des ours polaires. Le dispositif mobilise donc avec une certaine évidence la déception d’Anastasia.

Plus loin, l’artiste questionne le discours stéréotypé – occidental la plupart du temps – répandu dans les livres, les magazines ou les articles pour décrire le Pôle Nord, terre soit-disant vierge et sauvage. Trois écrans diffusent des séquences fixes de situations quotidiennes à Qaanaaq. Des maisons au bord de l’eau sous un ciel gris. Pas de neige visible, mais des débris ça et là. Au loin, la mer avec ses quelques morceaux de banquise flottants paraît bien triste. Sur l’image un carton – en surimpression à nouveau – génère par montage aléatoire des poèmes au vocabulaires galvaudés, qui ne collent pas vraiment avec ce que l’on voit. Par exemple : « les aurores boréales ont gagné en intensité. De la fenêtre une vue splendide s’étendait sur le fjord ».

Mon avis est partagé. Il y a un côté un peu « bon.ne élève ». Mettre en scène l’échec de son projet initial et le processus de déconstruction qui le suit est une pratique assez courue en art contemporain. Je trouve un peu dommage, qu’une fois cette étape franchie, Anastasia n’aille pas vraiment jusqu’au bout ses intuitions. Sa critique se limite à la confrontation fantasme d’authenticité versus trash de la réalité. Mais trash pour qui ? Pour quel regard ? De quelle réalité s’agit-il ? Ces questions restent sans réponses.

J’ai ressenti comme une retenue à incorporer l’aspect de sa rencontre avec la culture inuite, comme si elle n’existait pas. La photographe effleure finalement les problématiques post et néo-coloniales qu’elle voulait saisir au départ de son voyage. Son travail est d’avantage centralisé sur sa déconvenue personnelle plutôt que sur la remise en question de son positionnement d’artiste en résidence dans un ailleurs aux conditions moins privilégiées. Mais loin de moi l’idée de lui prêter de mauvaises intentions !

Une oeuvre m’a beaucoup touchée par la simplicité de son geste. Une grande image représentant la banquise immaculée sous un ciel tourmenté est épinglée de travers, de telle sorte que son coin inférieur droit s’étale sur le sol. Elle est la reproduction d’une carte postale qu’Anastasia avait envoyé à sa mère à son arrivée. Dans les couloirs de l’aéroport de Qaanaaq elle avait aperçu la même illustration affaissée dans son cadre. Pour le Centre de la photographie elle retranscrit le caractère bancal de ce point de vue idéalisé. Résultat des courses, si on parle iceberg en 2023, j’ai envie de dire : moins de Mike Horn plus d’Anastasia Mityukova !

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Chronique : Emilie
Animation : Zebra
Réalisation : Niels et Théo
Première diffusion antenne : 1 mars 2023
Crédits photos : Anastasia Mityukova
Mise en ligne : Emilie
Publié le 2 mars 2023

Une publication de Emilie


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