Un appareil photo et un cahier pour raconter sa maison
Au centre de la photo, il y a un croquis dessiné au crayon gris sur la page quadrillée d’un cahier. On voit un homme armé tenant par la main un enfant. Les deux personnages sont de dos et avancent paisiblement sur un petit chemin de campagne. Au premier plan, des grosses fleurs ont été coloriées en rouge.
Et sous l’image, il y a cette phrase : « Pour moi, le mot « maison » évoque le souvenir de mon père bien-aimé, la chaleur de ses mains. Je ne sais pas si la maison doit être liée à un pays ou à un lieu spécifique. Je crois que c’est lorsque tous les membres de votre famille et vos proches se réunissent que vous vous sentez chez vous.»
Ces mots, tout comme la photo et le dessin, ce sont ceux d’Hadia, une avocate afghane spécialisée dans les droits humains et aujourd’hui réfugiée au Royaume Uni. La jeune femme fait partie des 35 personnes migrantes qui ont participé à The Suitecase Project des photographes Benjamin Buckland et Jasmine Caye. Chacun leur tour, ils ont reçu une vieille valise avec à l’intérieur un appareil photo argentique et un carnet de notes. Et cette unique consigne : raconter ce que la maison représente pour eux. Leurs travaux sont à découvrir jusqu’à la fin août au Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
Ce qui m’a frappé d’emblée dans ces récits, c’est le traumatisme de l’exil. Ça paraît évident mais en lisant ces histoires racontées par les réfugiés eux-mêmes, on réalise concrètement, et plus profondément encore, à quel point ces départs forcés sont des déchirements dans la vie des gens.
Contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, les personnes migrantes ne sont pas toutes pauvres et sans formation. Beaucoup avaient un statut et des conditions de vie enviables dans leur pays. Elles ont été obligées de tout quitter pour des questions de sécurité. Leur travail et leur famille, mais aussi des paysages, des sons, des goûts et des odeurs.
Les récits montrent comment les réfugiés tentent par tous les moyens de donner du sens à leur déracinement, de reconstituer un univers familier dans un environnement totalement étranger.
Certains y arrivent, mais de loin pas tous. Plusieurs tendances se dégagent. Il y a ceux qui se raccrochent aux souvenirs et rêvent d’un retour au pays ; ceux qui essaient de retrouver des ressentis connus et apaisants comme la chaleur d’un rayon de soleil ou le regard bienveillant d’un proche. Ou encore ceux qui décident de sauter à pieds joints dans leur nouvel environnement sans se retourner car ce serait trop douloureux.
Toutes les histoires sont émouvantes car elles parlent de choses à la fois de très intimes et en même temps universelles : ces éléments qui font qu’on se sent chez soi.
Le récit d’Ali-Reza un jeune afghan du foyer de l’étoile m’a spécialement bouleversé. Sur ses photos comme dans ses notes, on sent toute sa détresse. Les images en noir et blanc montrent le grillage métallique qui entoure le centre pour requérants, les panneaux à l’entrée qui rappellent toutes les règles à respecter, les dix machines à laver empilées les unes sur les autres, et la semi-autoroute qui longe le foyer.
Sur les pages du carnet, dans un français à l’orthographe hésitante, il écrit : « Pour moi, la maison est un endroit où l’on peut être en paix. Dans un centre pour migrants, on ne peut pas se sentir en paix. J’ai pris des photos qui montrent ma vie quotidienne. Je ne sais pas qui sera la prochaine personne à porter la valise. Mais je lui souhaite du courage. »¨
Je ne suis pas sûre que le prochain était Kavsar. Mais l’histoire de ce jeune photographe ouïgour, né à l’étranger et aujourd’hui réfugié en Suède, m’a elle aussi impressionnée. Il n’a jamais vécu dans le pays que ses parents appellent « chez eux ». Décrire ce que la maison représente pour lui est donc compliqué. Finalement, il est arrivé à la conclusion que chez lui n’est ni un lieu, ni une odeur, ni une langue, un paysage, une musique ou une cuisine. Mais un lieu de réconfort où il sent la curiosité, la chaleur et la bienveillance des personnes qui l’entoure. Il a pris quatre photos : quatre paires de chaussures différentes. Elles sont sa maison à lui, celle d’un nomade.
Après avoir lu toutes ces histoires, je réalise à quel point la maison est bien plus que quatre murs et un toit. Plus encore que des objets et des personnes, elle est ce mélange de sécurité, de familiarité et de réconfort qui nous transcende et nous apaise. Le fait même d’avoir eu la chance de pouvoir ressentir cet état un jour, nous donne-t-il les clés pour le reconstruire ailleurs ? Est-ce que, comme pour une recette de cuisine, il suffit d’avoir les bons ingrédients ? Peut-être, mais faut-il encore y avoir accès ou l’énergie de les chercher… Selon les contextes et les parcours, c’est compliqué. Et les gâteaux d’enfance garderont toujours cette saveur inégalable que le temps ne fait que renforcer…
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Chronique : Céline
Animation : Emma
Réalisation : Sébastien
Crédit image: Sajjad © The Suitecase Project
Première diffusion antenne : 6 mars 2024
Mise en ligne : Céline
Publié le 7 mars 2024
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