Quincy Jones, maestro de la musique moderne
Dans cette chronique, nous faisons hommage à Quincy Jones, légende musicale disparue à 91 ans.
Enfance
Le début de l’histoire commence mal pour le jeune Quincy Delight Jones Jr., né le 14 mars 1933. Enfant, il a grandi dans les ghettos de Chicago, où régnaient les gangs et la misère. Fils d’un père charpentier au service du plus grand gang de la ville et d’une mère schizophrène, celle-ci lui sera enlevée devant ses yeux, sous camisole de force, environ à l’âge de 6 ans. Les ghettos étaient contrôlés par des gangs dont tous les habitants faisaient plus ou moins partie. Quincy raconte lui-même qu’il était possible de prendre un coup de couteau pour seulement s’être trompé de rue ou de quartier. Pendant son enfance, il en fera d’ailleurs lui-même les frais en s’en prenant une lame à travers la main. Rêvant de devenir un gangster, car c’était le seul exemple qu’il avait sous les yeux, il explique qu’il fut sauvé par un piano qu’il trouva lors du cambriolage d’un entrepôt. Ce fut pour lui une révélation, et c’est à ce moment-là qu’il sut qu’il voulait faire de la musique.
Débuts musicaux
Le jeune Quincy débute alors sa quête musicale. Vivant désormais à Seattle, il commence par apprendre la trompette à l’école, puis fait la connaissance de Ray Charles, avec qui il se produira dans les clubs de la ville, et qui deviendra par la suite son meilleur ami. À dix-huit ans, il obtient une bourse pour poursuivre ses études au Berklee College of Music de Boston, qu’il quittera d’ailleurs assez vite, pour intégrer l’orchestre de Lionel Hampton, comme trompettiste et arrangeur. Malgré un salaire dérisoire, il reste quatre ans dans ce big band, avec lequel il fait une tournée à travers une Amérique ségrégationniste au possible. À seulement 20 ans, l’aventure avec Lionel Hampton le conduira même, jusqu’en Europe. Rendez-vous compte, nous sommes en 1953! Et, à l’époque, le truc à la mode, c’est le bebop.
Décollage de sa carrière
Quincy Jones s’installe ensuite à New York, où il exerce comme trompettiste mais surtout comme arrangeur indépendant. Il écrit des arrangements pour de nombreux musiciens (Sarah Vaughan, Count Basie, ou son ami de toujours Ray Charles). En 1956, il est engagé par Dizzy GilleSPIE comme trompettiste et directeur musical, dans le cadre d’une tournée, organisée par le département d’État, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud. Pendant cette tournée, il fait la connaissance du fameux Lalo Schifrin, pianiste-compositeur-arrangeur-chef d’orchestre. Peu après, Quincy enregistre son premier disque lui aussi comme chef d’orchestre pour le label ABC Paramount Records.
Episode français
Suite à ça, il décide de s’installer en France, où les musiciens noirs sont à l’époque bien mieux considérés. C’est donc en 1957 que Jones s’installe à Paris, où il étudie la musique auprès de la célèbre Nadia Boulanger. Elle était directrice du Conservatoire américain de Fontainebleau et travaillait comme arrangeuse pour le label d’Eddie Barclay, avec des artistes tels qu’Henri Salvador, Charles Aznavour, Jacques Brel ou encore le fameux compositeur français Michel Legrand à qui on doit notamment “Les Parapluies de Cherbourg” avec Catherine Deneuve. Une légende de la musique de plus que le jeune Quincy Jones aura la chance de côtoyer. Elle le prendra sous son aile et le formera aux arrangements et à la musique classique. Nadia Boulanger avait l’habitude de taquiner Quincy en lui disant qu’il était fichu à cause du bebop, car il venait d’un style où l’improvisation laissait trop de place au hasard, contrairement à une partition écrite. Eh bien, il s’avère qu’elle avait quand même un peu tort, car c’est là la première caractéristique notable de Quincy Jones en tant que producteur musical: il sait laisser de la place à l’improvisation. En 1960, il forme un big band avec une vingtaine de musiciens. Malgré la qualité musicale de l’orchestre, l’expérience se solde par un fiasco financier, et il retourne aux États-Unis.
Retour aux Etats-Unis et rencontre avec Franck Sinatra
Il y devient arrangeur puis directeur musical du label Mercury Records. C’est dans ce cadre qu’il va arranger des dizaines d’albums de jazzmen, et surtout faire la rencontre de Frank Sinatra. Les deux collaboreront sur de nombreux concerts à Las Vegas. C’est d’ailleurs ce duo qui contribuera à ce que les artistes noirs puissent séjourner dans les hôtels et casinos où ils se produisent, car ceux-ci étaient habituellement relégués dans des motels à l’extérieur de la ville. Pour l’anecdote, Sinatra lui léguera après sa mort sa chevalière, et Quincy déclarera ne plus avoir besoin de passeport pour entrer en Sicile !
Direction Hollywood
Ses talents de compositeur et d’arrangeur vont le conduire à Hollywood, où il commencera à se faire un nom. Il sera crédité à cette époque à un nombre incalculable de productions, dont celles avec Sidney Poitier, le premier acteur afro-américain à obtenir des premiers rôles dans des films hollywoodiens. Dès 1961, il est constamment sur mille projets. Héritant du tempérament ultra-travailleur de son père, il cumule les plans à Hollywood, ses albums et ceux de bien d’autres artistes. Tous ont le point commun d’être agrémentés de cuivres et de rythmiques très funky, en accord avec la vague de musique soul de l’époque.
Rencontre avec Michael Jackson et enrichissement artistique
En 78, il orchestre une adaptation du Magicien d’Oz en comédie musicale appelée The Wiz. Ayant pour tête d’affiche Diana Ross, future star de la funk et du disco, mais aussi un tout jeune Michael Jackson d’à peine 20 ans. Impressionné par les talents inouïs du jeune homme, Quincy le prendra sous son aile, et c’est ainsi que commencera la fameuse collaboration dont vous avez tant entendu parler. Il passera donc du jazz à la pop en suivant les conseils de son ami Duke Ellington. Celui-ci aurait dit un jour à Quincy : “abats les barrières musicales et aime chaque catégorie”. Heureux conseil, qui donnera naissance à trois des meilleurs albums de pop de tous les temps : Off the Wall, Thriller, et Bad. On atteint ici l’un des sommets de l’art de Quincy Jones, car il intègre et transforme dans ces trois disques toutes les expériences musicales qu’il aura traversées, dosant parfaitement chaque élément, pour un résultat si novateur qu’il en est, pour certains titres, intemporel.
Collaborations et influence
À partir des années 90, il va enchaîner les collaborations avec presque tous les artistes afro-américains de l’époque, notamment Dr. Dre, Coolio, ou encore Tupac sur le fameux titre How Do U Want It. Et il en sera ainsi tout le reste de sa vie, jusqu’à la semaine dernière.
Quincy Jones inaugurera également le Musée de l’histoire afro-américaine à New York sous la présidence d’Obama. C’est d’ailleurs l’événement autour duquel gravite le documentaire de Netflix sur sa vie, que je vous recommande vivement.
Concernant la Suisse, Quincy nous aura gratifié de nombreux passages au Montreux Jazz Festival. C’est ainsi que Quincy Jones, tout au long de sa vie, posa les jalons de ce qu’est le rôle d’un producteur musical :
S’intéresser à tous les genres musicaux, orchestrer, arranger et rassembler les bonnes personnes autour du bon projet semble avoir été pour lui une seconde nature, dont le résultat est encore aujourd’hui d’une efficacité redoutable.
Militantisme
Après avoir vu, lu et écouté tout ce que j’ai pu concernant Quincy Jones depuis une semaine, je pense qu’au-delà d’honorer sa mémoire à travers la musique, il aurait apprécié qu’on mentionne le fait qu’après 91ans de vie, l’une de ses contributions majeures à notre monde fut également son engagement total dans la défense de la mémoire et de la culture de la communauté afro-américaine. Toute sa carrière, il se sera énormément investi dans ces causes, liées à tout ce qu’il aura connu aux États-Unis depuis les années 30. On pensera notamment à son soutien à Martin Luther King, mais aussi au titre We Are the World de 1985, gigantesque collaboration caritative entre 21 superstars et Michael Jackson, afin de lutter contre la famine en Éthiopie.
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Chronique : Adrien
Animation : Emma
Réalisation : Sébastien et Laure
Production : Stéphanie
Rédaction et mise en ligne : Adrien et Sarah
Crédit photo vignette : Gorup de Besanez/Wikimedia Commons
Crédit photos fond et une : Los Angeles Times/Wikimedia Commons
Première diffusion : 13 novembre 2024
Publié le 18 novembre 2024
Modifié et mis en une le 22 novembre 2024
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