Quand la salle Crosnier rencontre le système D

La Société des Arts de Genève, qui gère la salle Crosnier (Palais de l’Athénée), invite 4 jeunes artistes par année à y présenter une exposition personnelle. Jusqu’au 8 avril c’est le tour d’Yvan Alvarez dont le travail a été sélectionné par la Commission des expositions.
« Zwichenraum » c’est le titre qu’Yvan a choisi pour cette carte blanche. Le mot fait référence à un « entre-espace ». Un espace « interstitiel », « intermédiaire ».

Pour Yvan c’est ce qui désigne un champ des possibles. Celui de l’imprévu, du provisoire, de l’alternatif. Par exemple nous deux Zebra, à cet instant où je te parle, on est dans le studio rutilant de Radio Vostok. Avoue qu’au moindre péclotage de micro, au moindre couinement de chaise, à la moindre ampoule pétée on irait réclamer haut et fort que l’objet défectueux soit remplacé́. Je te parle même pas du baby-foot. Oui, on s’est vite habitué à ce confort aseptisé qui ne laisse aucune place à l’irrégularité. Et dans le cas où quelques grains de sable viendraient à freiner les rouages de cette machine parfaitement huilée, on préfèrerait attendre – non sans gueuler – du neuf plutôt que de rafistoler nous-même ces outils de travail.

Pourtant, quoi de plus satisfaisant que la résolution immédiate d’un problème? Que ce plaisir d’apporter une solution avec les moyens du bord et son imagination ? Sac poubelle retourné sur un panneau d’indication obsolète, linge de bain coincé entre la vitre et la portière de la voiture pour garantir l’ombre, bidons d’eau fixés à la base du parasol pour qu’il ne s’envole pas. Yvan s’intéresse depuis des années à ces gestes de poésie urbaine qu’il immortalise avec son téléphone.

Plutôt focalisé sur les infrastructures extérieures, celles qui appartiennent au domaine public, l’artiste reconstitue ces interventions citoyennes pour le musée, un peu à la manière de ready-made. Une forme de provocation héritée du mouvement Dada pour lequel l’art fait partie de la vie. Il se fait impure, indissociable de la culture de masse et de ses produits manufacturés. La beauté émane de l’utile et des objets créés pour combler un besoin élémentaire comme se protéger du soleil.

Avant de pratiquer l’installation Yvan a suivi des études en photographie. Comme une déformation professionnelle, ses intuitions de cadrage ont alimentés les montages présentés à la salle Crosnier. Par exemple, vous savez, ces vitrines recouvertes de bâche, de journaux, où de cartons pour que les travaux faits à l’intérieur restent confidentiels ? Yvan a flashé directement ces trois matériaux pour les imprimer sur des photogrammes géants. Il les a ensuite accrochés à l’emplacement exact des trois grandes fenêtres condamnées du Palais de l’Athénée. Sans passer par la reconstruction à l’identique du dispositif d’origine, mais en faisant appel à un intermédiaire – la photo, l’artiste nous invite à penser le décalage qui s’exprime entre l’espace d’exposition et l’hors-champ de la rue. Le premier soit-disant artificiel et le deuxième « naturel ».

La pauvreté des matériaux renvoie aussi à une dimension plus politique. Lorsque leur utilisation entre en jeu ce n’est pas toujours une question de choix, mais souvent la réponse à une situation précaire. Par terre, dans un coin on manquerait presque cet iPhone calé par Yvan dans la fente lacérée d’une canette de coca pour mieux diffuser la musique. Entre ce support DIY et l’enceinte d’Apple, on se demande lequel est le plus profitable. Design de l’extrême, astuces de grand-mère, magouille de mécanique, ces auto- gestions sont autant de façon de faire qui échappent aux structures commerciales et gouvernementales. Hors-la-loi ou simplement hors lois, elles suggèrent un fonctionnement plus anarchique et décentralisé́. Leur caractère éphémère et altérable s’oppose à la permanence. Comme une bulle qui fini par éclater pour laisser la place à d’autre ou à rien, « Zwischenraum » nous met face à notre propre finitude.

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Chronique : Emilie
Animation : Zebra
Réalisation : Niels et Théo
Première diffusion antenne : 15 mars 2023
Crédits photos : Yvan Alvarez
Mise en ligne : Emilie
Publié le 16 mars 2023

Une publication de Emilie