Parler de l’intime à l’aide d’images fabriquées
Savez-vous comment distinguer une image générée par l’intelligence artificielle d’une vraie photo? Eh bien, il faut observer les mains !
Malgré les immenses progrès réalisés ces dernières années, les générateurs d’images par l’IA ne sont toujours pas capables de reproduire correctement des mains humaines. Résultat : les personnes ont soit trois doigts, soit six, un pouce à l’envers ou alors des pattes informes non articulées.
Ça, c’était pour la petite pique de lancement. Car en vrai, l’intelligence artificielle bouleverse en profondeur la création graphique… Les spécialistes sont unanimes : les enjeux dans le monde visuels sont énormes.
Aujourd’hui, grâce à cette technologie, il est possible de créer une image à partir d’une simple description textuelle. On pense alors à toutes les photos et vidéos truquées qui circulent sur le web pour détourner l’opinion publique : Poutine s’agenouillant devant le président chinois, Trump qui tente d’échapper à la police ou encore Macron assis sur des poubelles près de la Tour Eiffel.
Dans le monde de l’image comme ailleurs, l’IA inquiète autant qu’elle intrigue. Elle ébranle nos repères, pose un tas de questions au niveau économique, juridique et sociétal. Mais elle offre aussi de nouvelles opportunités aux artistes. Ils peuvent l’utiliser comme interlocuteur privilégié pour repousser les limites de leur processus créatif.
C’est précisément ce volet-là qui est au cœur l’exposition. Le centre de la photo s’intéresse à comment des artistes se servent de cette technologie pour parler de l’intime. Comment ils l’exploitent pour raconter des souvenirs, traduire un lien affectif ou rendre tangible leur sensibilité.
Le New-Yorkais Charlie Engman a choisi par exemple de montrer l’incapacité des algorithmes à saisir les rapports humains. Il a demandé à un moteur d’intelligence artificielle de représenter un câlin.
Malgré leur apparente normalité, on sent au premier regard que quelque chose cloche dans les images. Rien ne joue. Ni dans la gestuelle, ni dans les expressions. Sur la première, on voit deux personnes, a priori un homme et une femme, devant un mur de catelles blanches qui fait penser à des toilettes publiques. On ne sait pas si le duo se dispute, s’étrangle ou est juste ivre. Le seul visage visible est complètement tordu. Au final, le rendu inspire tout sauf de la tendresse !
La deuxième image n’est pas mieux. Même pire je dirais. Elle montre trois hommes qui ont l’air de se dévorer sur un passage piéton. Et je vous épargne leurs mains…
Plus loin dans l’exposition, une artiste germano-ghanéenne a fait tout un travail de reconstruction suite au décès de son père lourdement handicapé après une opération. Elle a demandé à l’intelligence artificielle de créer des nouvelles images de lui à partir d’anciens clichés. Elle a ensuite transformé le fichier obtenu sur pellicule et l’a développé dans un laboratoire argentique couleur.
Grâce à son grain particulier, le portrait a quelque chose de très authentique. Mais les traits du père détonnent. En particulier les dents qui évoquent plus le vampire qu’un homme âgé. Apparemment, c’est comme pour les mains. L’IA a beaucoup de peine à reproduire finement les dentitions. L’artiste voit alors dans cette image mi-réelle mi-cauchemardesque le reflet de son deuil difficile.
Il y a un côté ludique à essayer de décoder l’image, de comprendre la démarche de l’auteur, de voir concrètement les immenses potentialités de l’IA et en même temps ses limites évidentes. Et j’avoue, il y a aussi un petit côté rassurant de constater que notre humanité n’est pas si facilement reproductible par une machine…
Ceci dit, tous les travaux exposés n’ont pas été réalisés avec l’intelligence artificielle. Plusieurs artistes présentent des images manipulées ou fabriquées à l’aide d’autres processus comme la découpe laser, des filtres, des superpositions ou des photomontages.
D’ailleurs, j’ai eu un coup de cœur pour les tableaux d’Alina Frieske. Cette artiste allemande s’est créé une immense palette de couleurs à base d’images numériques de mauvaise qualité téléchargées sur le web. Toutes les nuances de tons sont représentées. Elle utilise ensuite ces fragments comme des coups de pinceaux. Les rendus sont d’une grande poésie, à mi-chemin entre la photo et la peinture.
Plus question de se faire avoir par une photo truquée, vous dites-vous peut-être ! Sans aller jusque-là, l’exposition nous sensibilise clairement à la véracité d’une image et aux différents processus de manipulation. Pour moi, son gros atout est d’aborder ces enjeux très actuels avec une démarche à la fois artistique et didactique. On peut très bien la visiter en se focalisant uniquement sur l’esthétisme des œuvres. Ou alors chercher à comprendre plus en détail les procédés utilisés.
Au total, douze artistes exposent leurs travaux. C’est donc douze techniques à découvrir. C’est parfait, avec deux mains à six doigts, le compte est bon !
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Chronique : Céline
Animation : Emma
Réalisation : Sébastien
Crédit image: Alina Frieske – Céline
Première diffusion antenne : 28 février 2024
Mise en ligne : Céline
Publié le 7 mars 2024
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