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On ne badine pas avec l’amour, sentiments explosifs

Léo | 8 mars 2023

Jean Liermier met en scène On ne Badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset, jusqu’au 26 mars au théâtre de Carouge. Une explosion de sentiments dans un décor splendide.

Faut-il présenter la pièce? C’est un tube, un classique, le chef-d’œuvre du romantisme français. La belle Camille et le beau Perdican. Des jeunes gens intelligents, cultivés, sensibles. Ils se retrouvent après 10 années d’absence, au château du Baron, le père de Perdican, qui a l’intention de les marier.

On s’attend à des retrouvailles enflammées entre deux êtres passionnés aux hormones ardentes, mais la rencontre est finalement glaciale. Camille, jupe plissée et crucifix autour du cou, est décidée à retourner au couvent. Là-bas elle a découvert que les histoires d’amour finissent mal, en général et qu’il vaut mieux rester seule plutôt que de se retrouver abandonnée, sans ressources, trompée par un mari volage.
Elle veut devenir nonne, quitter le château dès que possible, et surtout ne pas trop s’égarer dans les jolis yeux bruns du séduisant Perdican.

Amour et pouvoir

Sauf qu’ils s’aiment, évidemment. Et parce qu’ils sont fiers, orgueilleux et bornés. Leurs désirs, ils les cachent et les transforment en un jeu de pouvoir cruel, une escalade de provocations et de joutes oratoires déchirantes.

Cyril Metzger et Adeline d’Hermy jouent ce couple en auto-destruction. Ils sont éblouissants. Ils parviennent à rendre à la fois la poésie de la langue de Musset et sa fluidité. Des images magnifiques, intenses qui explosent comme un feu d’artifice à chacune de leurs rencontres.

Les deux interprètes s’engagent avec intensité pour incarner des personnages à fleur de peau, qui essaient de dominer leurs émotions mais qui sont toujours au bord de l’explosion. Deux arcs tendus. Deux volcans bouillonnants. Deux noyaux d’énergie attirés, irrésistiblement. Comme des trous noirs qui s’effondrent l’un sur l’autre et engloutissent tout dans leur spirale.

Art du contrepoint

On peut souffler le temps d’un rire. Le texte est construit sur un contrepoint: à côté du tragique duo maudit évoluent des caricatures absurdes. Roland Vouilloz incarne un Baron ahuri, qui ressemble à un gros œuf à l’accent valaisan. Gaspar Boesch et Frank Semelet sont hilarants dans leurs rôles de curés obsédés par la nourriture et bourrés du début jusqu’à la fin.

La scénographie de Rudy Sabounghi est superbe. Un décor pastoral, une butte herbeuse, un puits. Un immense cadre suspendu dans les airs pour reproduire l’intérieur du château. Au fond sont projetées des peintures créées spécialement par Régis de Martrin-Donos. Des paysages réalisés sur le motif, dans un style proche des premiers impressionnistes.

L’ensemble, éclairé magnifiquement par les lumières de Jean-Philippe Roy, inscrit le spectacle dans une esthétique minutieuse, à la fois figurative et poétique. Le comédien et musicien Simon Aeschimann accompagne la représentation de sa voix douce et de sa guitare subtile. Un soir d’été, à la campagne. Ambiance délicate et élégante. Un temps parfait pour s’ouvrir les veines, s’écorcher le cœur et voir couler ses passions.

Romantisme et société

On ne Badine pas avec l’Amour mêle de nombreux thèmes qui témoignent des mutations de la société du XIXè siècle. La quête d’absolu d’une génération perdue. La volonté d’émancipation des femmes et leur soumission à des idéaux archaïques. La violence exercée par des hommes qui refusent de réguler leur libido. La critique de l’éducation religieuse. L’orgueil destructeur des enfants gâtés d’une aristocratie coupée des réalités.

Un mélange de cruauté, de désir, de mépris se déverse sur le plateau. Un déferlement d’émotions et de tirades sublimes qui exprime des sentiments puissants, de ceux qu’on dit qu’ils nous font nous sentir vivants.

Mais les deux héros de Musset nous répugnent autant qu’ils nous fascinent. Est-ce qu’on veut appeler « amour » leur égoïsme et leur aveuglement? Ils se nourrissent de la violence qu’ils s’infligent l’un à l’autre. Pour satisfaire leur propre narcissisme, ils exhibent leurs déchirements. Ils entraînent, de force, l’innocente Rosette dans ce jeu de voyeurisme malsain. Une paysanne, choisie comme victime émissaire, sacrifiée sur l’autel d’une passion toxique.

Elle mériterait qu’on lui laisse un peu plus de place, Rosette, effacée entre les pitreries des personnages comiques et les effusions des amants tragiques. Elle détient une des clés de l’intrigue. Elle nous rappelle que « des mots sont des mots ». Si les riches peuvent s’abandonner à leurs emballements comme un jeu sans importance, c’est parce que d’autres subissent, à leur place, les conséquences.

Amour fou

La pièce se pense en deux temps. Celui de la représentation nous éblouit par les moyens déployés au service d’une esthétique magnifique. Par l’engagement de l’ensemble des interprètes. Par la beauté des décors. Mais il ne faut pas s’arrêter là.

Il y a une richesse à questionner ce dont on a été témoins. Interroger les clichés du romantisme qui baignent beaucoup de romans et de séries d’aujourd’hui. Remonter à la source, bien plus complexe, ironique, pessimiste et ambiguë qu’on l’imagine.

Le printemps arrive. Déjà les couples fleurissent. C’est le bon moment pour aller à Carouge, découvrir ou redécouvrir le chef d’œuvre d’Alfred de Musset.
Comme le disait la chanteuse, “le temps de l’amour, c’est long et c’est court, ça dure toujours, on s’en souvient”.

On ne badine pas avec l’amour , mise en scène de Jean Liermier, du 28 février au 26 Mars 2023 au Théâtre de Carouge
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Chronique : Léo
Animation : Zebra
Réalisation : Sébastien
Première diffusion antenne : 07 Mars 2023
Crédit photos: © Carole Parodi
Publié le 08 mars 2023

Une publication de Léo


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