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Oleg, l’alter ego de Frederik Peeters

Pacome | 1 février 2021

La nouvelle BD du Genevois Frederik Peeters s’appelle Oleg. L’album vient tout juste de paraître aux éditions Atrabile et il est bien différent du précédent. Peeters, on le connaît, c’est quelqu’un qui semble aimer varier les plaisirs, et changer d’univers d’un livre à l’autre.
Il a déjà abordé divers genres : son premier gros succès, en 2001, était un récit intime, Pilules Bleues ; depuis il s’est attaqué au western, au fantastique, à la science-fiction, et j’en passe.
Son précédent album, Saccage, tenait un peu de l’OVNI littéraire : très coloré, onirique, sans réel scénario et sans texte, c’était comme un cahier d’images dépeignant un monde baroque et cauchemardesque.
On en avait parlé sur Vostok pour sa sortie, il y a bientôt deux ans.
Après un tel ouvrage, on s’attendait donc, logiquement, à un nouveau virage dans la production de dessinateur. Mais là, c’est plus un virage, c’est un grand écart !
Tout d’abord parce qu’Oleg, le nouvel album, se présente sous une forme très classique – et parfaitement maîtrisée : retour aux planches divisées en cases, retour au texte et aux bulles, retour au noir et blanc après la débauche chromatique et surtout retour à un scénario classique, les deux pieds plantés dans la réalité la plus brute.
Un retour sur Terre, en somme …. Et que nous raconte ce nouvel album ?
Oleg dépeint le quotidien, à la fois banal et touchant, d’un personnage qui est un auteur de BD. Un auteur de BD qui a tellement de points communs avec Frederik Peeters que le doute n’est pas permis : Peeters se dévoile et nous raconte à nouveau un pan de sa vie, comme dans le célèbre Pilules Bleues.
Toutefois, il prend une légère distance avec son personnage, Oleg : il ne l’a pas appelé Frederik, et il en parle en disant « il ».
On ne sait donc pas trop s’il s’agit d’autofiction ou d’un journal fidèle.
Ce qui est certain, c’est que nombreux éléments semblent venir directement de la vie de notre auteur, sans filtrage.
On suit ainsi le personnage d’Oleg dans les hauts et les bas de sa vie familiale, avec sa compagne et leur fille : on assiste aussi aux heures qu’il passe à son atelier, courbé sur sa planche à dessin, au téléphone avec un éditeur, aux séances de dédicaces apparemment plutôt pénibles pour ce solitaire endurci, à des longueurs à la piscine de Varembé pour garder la forme et à des fumettes nocturnes pour décompresser …
Et ce Oleg, il est heureux ?
Ah, difficile à dire … Il connaît des moments de joie ou de plénitude, et des moments d’abattement et de colère.
C’est quelqu’un de sensible, cultivé, mais plutôt mal à l’aise dans son époque. Il est facilement irrité par la bêtise de ses contemporains, il déteste les réseaux sociaux et il vit une existence solitaire en dehors des deux femmes de sa vie.
Il est entre deux livres, avec un peu de peine à lancer le prochain – jusqu’à ce que lui vienne l’inspiration pour « un long cauchemar graphique » où on reconnaît sans peine le volume Saccage.
La façon dont le monde évolue tracasse Oleg, en particulier les problèmes liés à l’écologie. Il s’implique à son niveau personnel, en travaillant sur son mode de vie : pas de viande, et pas d’avion non plus.
Et comme la vie peut être vache, voilà qu’il va devoir faire face à un grave problème de santé qui frappe sans prévenir sa compagne.
Et puis, Oleg fait face à un questionnement inconfortable : quel est l’intérêt de raconter sa vie ? Est-ce de l’égocentrisme ? Il faut préciser ici que « oleg », en fait, c’est l’anagramme de « l’égo » ; et on parle bien de l’égo de l’individu, pas du jeu de construction danois.
Tout cela est raconté avec une franchise brute, et apparemment sans aucune volonté d’embellir les choses.
C’est donc une histoire très personnelle, mais dans laquelle le lecteur se projette facilement. On ressent beaucoup d’empathie pour ce dessinateur exigeant avec lui-même et avec les autres, rêveur et un peu déphasé.
L’air du temps actuel est merveilleusement saisi et rendu, par exemple les rapports transgénérationnels, à travers la communication d’Oleg à sa fille et, plus délicate, celle du dessinateur à ses parents, qui ne partagent pas sa position écolo et vivent plutôt sur un grand pied. Peeters met ici le doigt sur un thème délicat qui divise de nombreuses familles, dirait-on.
Mais ce récit, s’il reste sobre, n’est pas pour autant toujours prosaïque. Des passages oniriques bienvenus viennent l’agrémenter, comme quand, suite à une remarque raciste qu’il a entendue, Oleg imagine une ville où les humains sont remplacés par des singes.
Humour, mélancolie, évènements personnels et réflexions que chacun pourrait partager : ces différents éléments sont parfaitement dosés, dans un récit à la fois spontané et maîtrisé, et servi par un dessin impeccable.
Cette nouvelle mise à nu de Frederik Peeters est donc une réussite, On lit donc avec plaisir et intérêt cet album autocentré mais sensible, en attendant que, dans vingt ans peut-être, Frederik Peeters se raconte à nouveau.

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Chronique : Pâcome
Animation: Lola
Réalisation : Pablo
Production: Sidonie
Crédits photos : DR
Date de diffusion : 19 janvier 2021
Mise en ligne : Alexia
Publié le 23 janvier 2021 à 17h

Une publication de Pacome


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