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Arts vivantsCultureLa Quotidienne

Nous voulons la Lune: douce hypnose végétale

Léo | 22 mars 2023

Le Théâtre du Galpon présente Nous voulons la Lune du 23 Mars au 02 Avril, une chorégraphie tout en lenteur de Marion Baeriswyl sur la musique de D.C.P.

D’immenses panneaux gris clair partent du sol et s’élèvent dans les airs, en s’arrondissant contre les murs du théâtre. On se sent enveloppé dans une courbe douce qui lit le bas et le haut.

Trois danseuses sont là, entremêlées. Elles évoluent au ralenti. Pendant une heure, elles garderont ce rythme, déplaçant graduellement leurs bras, leurs mains, leurs pieds, avec minutie.

La lenteur est la matière première avec laquelle travaille la chorégraphe Marion Baeriswyl. Un choix stylistique qui pose des contraintes. Il faut oublier les sauts, les tournoiements ou certaines poses trop exigeantes physiquement et qu’on ne peut pas tenir plus qu’une fraction de seconde.

Performance intense

Sur le plateau, Aïcha El Fishawy, Erin O’Reilly et Luisa Schöfer. La performance qu’elles réalisent est impressionnante de maîtrise, d’engagement, de souplesse.

Regards concentrés, muscles tendus, respirations synchronisées. Elles bougent, lentement. Un pied par terre, un autre en l’air, la colonne vertébrale courbée, une main délicatement posée sur le dos de sa voisine, des doigts qui caressent le sol.

Refuser la vitesse implique un contrôle extrême des interprètes, une écriture précise qui ne laisse rien au hasard, parce que tout devient visible. C’est précisément l’objectif. Dilater le temps pour permettre à l’attention de se focaliser sur un détail, de rendre visible le moindre frémissement, les gestes d’habitude imperceptibles.

Les costumes de Marie Bajenova, un camaïeu de bleu et d’orange, sont conçus pour s’assembler les uns avec les autres. Comme un camouflage qui efface les traits individuels et compose une fresque plus grande, qui se prolonge d’un corps à un autre.

Multiplicité dansée

Très vite, les limites disparaissent. On ne sait plus à qui appartient cette jambe, ce ventre, cette paume. Le trio forme une créature autonome, aux membres multiples, qui évolue, se métamorphose, se déplace petit à petit. Un organisme tout en douceur, en effleurement, en contorsions.

La musique de D.C.P., produite en direct, nous plonge dans un état d’hypnose. Une techno planante, un long crescendo qui évolue imperceptiblement, des nappes qui dissolvent toute notion de temps et d’espace. On se laisse immerger dans le rythme contemplatif du spectacle. On entre en résonance avec ces êtres mélangés qui dansent, toujours en contact les uns avec les autres. On ressent chaque caresse comme si elle était faite sur notre propre peau.

La chorégraphe et le musicien mènent depuis plusieurs années une recherche poétique et artistique ambitieuse. Il ne s’agit pas de raconter une histoire, de représenter des relations entre des personnages mais d’évoquer des éléments bien plus fondamentaux. Le rythme, la pesanteur, la multiplicité.

Oeuvre contemplative et sensible

C’est un travail intense, sensible, qui nous touche parce qu’il s’adresse à quelque chose de profond en nous. Les corps qui se frôlent, leur mouvement continu, l’arabesque de leurs trajectoires dans l’air et sur le sol. La lenteur introduit un sentiment bizarre, quelque chose d’à la fois étrange et familier. En anglais on dit uncanny, en allemand: unheimlich. En français on n’a pas de mot, juste une impression.

On n’a jamais vu cela, et pourtant on y reconnaît quelque chose. Il faut dire que la troupe s’inspire de notions et de phénomènes omniprésents autour de nous. N’en déplaise au rêve individualiste, les êtres atomisés, autonomes et libres de leurs désirs, ça n’existe pas, à part dans les publicités pour des SUV!

Symbioses

Dans le monde vivant, tout est question de coopération, d’interdépendance. Les limites sont toujours floues. Même la plus simple des algues unicellulaires, celles qu’on trouve dans le plancton marin, est le fruit d’une très vieille collaboration avec une cyanobactérie qui lui permet de réaliser la photosynthèse nécessaire à sa survie.

Si on regarde du corail de très près, on aperçoit de petits animaux qui ressemblent à des fleurs, qu’on appelle des polypes. Ensemble, ils forment des colonies gigantesques, construisent des récifs immenses, abritent des bactéries qui les aident à résister aux agressions et aux maladies. On dit qu’ils forment un holobionte. Un superorganisme géant composé de centaines d’espèces différentes qui collaborent, ensemble, dans le but de la survie commune.

Marion Baeriswyl puise son inspiration chorégraphique auprès de ces créatures titanesques. De cette vie qui se perpétue par l’hybridation, la symbiose. En voyant les trois danseuses entremêlées qui déroulent lentement leurs bras vers le ciel, on pense à des plantes, des lianes, du lierre, qui s’appuient les unes sur les autres pour monter, ensemble, vers la lumière.

Depuis la scène du théâtre du Galpon, Nous voulons la lune, nous emmène dans une douce hypnose, au son de l’électro aérienne de D.C.P. On voyage avec la troupe, au contact de cette vie en nous qui dépasse notre individualité, qui nous déborde, et ne demande qu’à sortir. C’est le premier jour du printemps, le bon moment pour sentir la sève, monter paisiblement en nous.

Nous voulons la Lune , chorégraphie de Marion Baeriswyl, musique de D.C.P du 23 Mars
au 02 Avril au Théâtre du Galpon

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Chronique : Léo
Animation : Zebra
Réalisation : Arthur et Raphaël
Première diffusion antenne : 21 Mars 2023
Crédit photos: © Laurent Valdès
Publié le 22 mars 2023

Un contenu à retrouver également sur l'application PlayPodcast

Une publication de Léo


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