menu Home search
Arts vivantsCultureLa Quotidienne

Matricide, un rituel pour faire la paix avec notre violence

Léo | 3 mai 2023

Catherine Travelletti présente Matricide , jusqu’au 13 mai 2023 à la Comédie de Genève. Un spectacle expérimental, un rituel, une cérémonie, pour faire la paix avec toutes les violences qui nous habitent.

Le spectacle commence sur un coup de couteau. Celui par lequel un acteur découpe la rassurante moquette bleue qui recouvre le plateau, et révèle un cercle, au centre, à la surface réfléchissante. Une arène, un ombilic, ou bien un miroir à travers lequel on bascule, comme Alice, de l’autre côté du reflet pour entrer dans le monde de nos désirs, de nos fantasmes, de nos peurs.

Des créatures apparaissent, des corps humains surmontés de masques, bricolés avec du tissu, du plastique récupéré ça et là. Animaux mythologiques, figures archétypales, vivantes et symboliques, qui nous guident vers les profondeurs de notre âme.

Les masques ont été fabriqués par les 6 interprètes du spectacle, qui ont accepté de mener un travail particulièrement engagé, intense et intime. Car Catherine Travelletti n’est pas seulement metteuse en scène. Elle anime, depuis plusieurs années, des ateliers de dramathérapie.

Il s’agit d’un type de thérapie de groupe qui utilise le théâtre pour donner une existence concrète à des douleurs, des blessures, des traumatismes. Cela permet de les voir sous un angle nouveau, d’oser tisser des liens avec ces parties de nous que l’on cherche à noyer dans les abysses de notre inconscient. Le but est de les accepter, de réaliser une forme d’harmonie dans notre écosystème intérieur, avec ses anges et ses démons, ses agneaux et ses loups-garous.

C’est par ce travail qu’est passée la troupe pour créer Matricide, autour de Catherine Travelletti. Une réflexion sur les pulsions de destruction qui peuvent s’exprimer dans la colère, les addictions, la violence.

Par la méditation, les interprètes ont laissé émerger des guides et des monstres, intimes, inspirés de leurs vies, auxquels ils ont donné des formes, des caractères, des histoires. Ils les ont transformés en personnages.
Ce sont eux qui envahissent la scène de la Comédie de Genève. Qui nous emmènent à travers des tableaux muets, des visions puissantes, dérangeantes, une ambiance de cauchemar.

Des fantômes, des êtres terrifiants, des corps déformés, contorsionnés, inversés. Un couteau qui déchire une membrane pour en extraire un fœtus. Une femme agressée, violée, un corps laissé immobile sur le sol.

Ces images sont d’autant plus fortes quand on sait qu’elles ne sont pas le fruit d’une recherche purement esthétique, théorique ou intellectuelle mais qu’elles sortent d’un travail d’introspection, de mise à nu des artistes sur le plateau, d’une plongée dans leurs propres douleurs.

La seconde partie du spectacle arrive comme une grande respiration, après cette nage en apnée dans les eaux obscures de notre inconscient. Des personnages se retrouvent pour une thérapie de groupe. Toujours à propos de leurs envies de destruction, mais cette fois sous un angle plus léger, humoristique, grotesque. Les masques archétypaux laissent la place à des figures caricaturales, pour une séance déjantée, absurde, où le rire nous aide à décompresser, à prendre du recul.

Matricide est un spectacle exigeant, qui peut déstabiliser, que l’on peut chercher à mettre à distance.

On n’est pas obligé d’aller au théâtre comme on va en thérapie. Mais je pense qu’il faut voir Matricide en acceptant qu’il y a en nous autre chose que notre propre personnage principal, celui à la vie bien réglée, sans imperfection, qui arrive à l’heure aux rendez-vous, bois du chasselas et tond sa pelouse aux ciseaux.

Accepter notre malaise, face à des images qui remuent en nous quelque chose que l’on ne veut pas nommer. Nous laisser hypnotiser par la lumière, les corps, les gestes. Pour donner un peu de place à toutes ces autres parties de nous-mêmes, nos désirs, notre fureur, nos fantasmes.
Cet écosystème singulier avec lequel nous cohabitons.

Nous sommes faits d’ombre et de lumière, de vie et de mort. D’ordre et de chaos.

A la Comédie de Genève, Catherine Travelletti part d’une hypothèse. Celle que notre société est malade, parce qu’elle nous empêche d’accepter la violence que nous portons en chacun de nous. Qu’à force d’être réprimées, ces pulsions se déversent là où elles peuvent, dans une consommation et un gaspillage effréné, comme si accumuler des objets et brûler du pétrole pouvait remplir le puits sans fond de notre vide existentiel.

Avec Matricide , la metteuse en scène esquisse une porte de sortie. Un théâtre qui laisse advenir nos fantômes et nos monstres refoulés. Un terrain de médiation pour reconstituer une harmonie entre toutes les dimensions de notre être, les plus lumineuses comme les moins reluisantes. Un rituel, une cérémonie, pour faire la paix avec toutes les brutes qui nous habitent.

Matricide , mise en scène de Catherine Travelletti à la Comédie de Genève, du 3 au 13 mai 2023

_
Chronique : Léo
Animation : Zebra
Réalisation : Arthur et Raphaël
Première diffusion antenne : 2 Mai 2023
Crédit photos: © Laura Morier Genoud
Publié le 3 Mai 2023

Une publication de Léo


Envie de soutenir un média gratuit,
indépendant et local ?

Rejoins Vostok+


Commentaires

Pas encore de commentaire pour cet article.

Commenter




play_arrow thumb_up thumb_down
hd