L’histoire de Souleymane, un récit âpre et haletant
Salut Emma, je me souviens d’une conversation que l’on a eue il y a quelques temps – bon hier en fait – dans laquelle tu disais en toute humilité « je crois que je ne me suis jamais fait livrer un repas ». Phrase très belle qui m’a profondément marqué et qui montrait ta solidarité envers ces travailleurs précaires ou éventuellement aussi un manque de fonds… Bon je ne m’appesantirai pas là-dessus… Mais pourquoi – te demandes-tu surement – Johan dévoile t-il cette part de ma vie privée ce soir. Et bien tout simplement …parce que je n’avais pas d’autre intro pour présenter ce film dans laquelle la livraison à domicile tient un rôle secondaire mais toutefois très présent à l’écran.
Ce film c’est l’Histoire de Souleymane, un long métrage de Boris Lojkine, présenté au dernier Festival de Cannes dans la section Un certain regard et qui a reçu – excuse-moi du peu – le Prix du jury et le Prix d’interprétation masculine pour son acteur principal Abou Sangare. Boris Lojkine, c’est un réalisateur pas forcément très connu qui a fait ses classes dans le documentaire et clairement on le ressent dans le film – on en reparlera tout à l’heure. L’histoire de Souleymane c’est l’histoire d’un demandeur d’asile guinéen sans papier que l’on va suivre pendant 48h – les 48h précédent son audition cruciale auprès de l’office français de protection des réfugiés et des apatrides. Cet organisme est chargé du contrôle des témoignages et de l’octroi du statut de réfugié et donc de la délivrance de papiers officiels. Lors de cette audition, Souleymane devra ainsi raconter les raisons de son départ de son pays natal et son trajet jusqu’à la France.
Alors Emma te souviens-tu de l’émission vis ma vie qui date de quelques années maintenant dans laquelle deux personnes changeaient de vie pendant une semaine ? Et bien ce film c’est un peu ça, tu vas être dans les pas de Souleymane pendant 48 heures et vivre sa vie faite de tension permanente. Car au-delà de sa préparation pour son audition, étant sans papier il doit survivre. Survivre, ça veut dire trouver au jour le jour de l’argent et un toit et éviter tout problème qui pourrait le conduire à être arrêté. C’est cette réalité brute que nous fait vivre ce film.
On retrouve ici le côté documentariste du réalisateur. On suit Souleymane au plus près, que ce soit dans ses courses de livreur, dans les lieux d’hébergement ou il dort et se restaure le soir, et dans sa préparation de son audition avec une connaissance guinéenne. Le film est centré sur lui, et les personnes secondaires sont très bien interprétés mais ils restent à la périphérie, tout simplement car quand il s’agit de survivre tu es principalement seul et c’est ce que nous montre le réalisateur : la dureté, la débrouille, la peur qui nait de cette situation. Cette tension ne quitte jamais le film, lui donne son rythme et en fait incarne à merveille la situation de ces personnes précaires.
Ce n’est pas un polar pour autant avec des embrouilles concernant des trafiquants de drogue ou autres. C’est un film à l’atmosphère réaliste et âpre. On suit Souleymane dans un monde assez solitaire fait d’exploitation humaine – typiquement une personne lui loue son compte UBER EATS mais ne veut pas le payer, avec peu de moments de fraternité, de chaleur. A cette réalité, s’ajoute une forme de course contre la montre car comme je le disais tout à l’heure, Souleymane a 48h pour finaliser son histoire, ce qui implique notamment de récupérer certains documents. Suspens de l’intrigue, tension du quotidien de Souleymane (on ressent très bien que son destin peut basculer à tout moment) font de ce film plus qu’un simple documentaire, et on est plongé dans l’histoire pendant 1h30 sans voir le temps passé.
Il y a également de l’espoir, bon enfin des touches 😉 comme tu le sais le monde d’aujourd’hui c’est pas les Bisounours 😉 Mais quand même, le réalisateur montre la fraternité qui peut exister entre ces personnes exilées. Par ailleurs, l’espoir d’avoir une reconnaissance officielle est évidemment présente pour Souleymane. Et le réalisateur nous montre d’ailleurs tout le courage, l’humilité et la persévérance nécessaire à ces personnes sans papier pour s’en sortir alors qu’elles ont généralement tout perdu lors de leur venue en Europe. C’est un grand film humaniste car il nous rappelle – si on l’avait oublié – que ces personnes – que certains ne veulent pas voir – sont des êtres humains à part entière qui sont souvent passés par des épreuves terribles.
Le film a beaucoup de qualités, sa sincérité, son réalisme, son rythme dont je parlais tout à l’heure. Par ailleurs, on voit un Paris que l’on n’a pas forcément l’habitude voir. Le Paris urbain, un peu cracra, sa banlieue parfois grise et en parallèle les beaux quartiers ou les beaux immeubles ou Souleymane livre ses repas. La ville est vraiment très bien filmée en dehors tout cliché – c’est clairement pas le Paris des JO spécial vitrine internationale du tourisme si tu veux ;). Après le film n’est pas parfait non plus, l’émotion est assez contenue, on passe quand même beaucoup de temps sur le vélo de Souleymane et clairement c’est le film d’une trajectoire et on en apprend très peu sur les autres personnages. Mais ces légers défauts sont minimes par rapport à la réussite générale du film. Alors je recommande ce film :
– Aux adeptes du cinéma réaliste des Frères Dardenne
– Aux amoureux de la petite reine (je vous rassure aucun vélo n’a été maltraité lors de ce tournage)
– et plus sérieusement pour se rappeler combien nous sommes proches malgré nos situations et nos trajectoires de vie différentes. Alors ça fait un peu cliché j’assume mais à l’heure où les tensions autour de l’immigration ou autres sont toujours aussi vives, ce film nous rappelle simplement notre humanité commune.
–
Chronique : Johan M.
Animation : Emma
Réalisation : Alexis et Marlon
Crédits photos : Trigon films
Première diffusion antenne : 07 octobre 2024
Mise en ligne : Johan
Publié le 11 octobre 2024
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