Les graines du figuier sauvage, un thriller glaçant
La chronique d’aujourd’hui porte sur un thriller politique glaçant car reposant sur des faits et un contexte totalement réel. Ce film c’est les graines du figuier sauvage de l’iranien Mohammad Rasoulof. Ne surtout pas se fier à son titre un peu classique de film d’auteur étranger contemplatif. Ce long métrage est tout sauf soporifique. Son réalisateur a voulu faire – et a réussi d’ailleurs – un film coup de poing sur la terreur et la répression exercée par le régime iranien lors des révoltes de 2022. Il faut d’ailleurs rappeler que Mohammad Rasoulof, qui a fait de nombreux long métrages sur l’Iran est désormais en exil après de nombreuses arrestations et une condamnation à 8 ans d’emprisonnement.
Le film se déroule en Iran en 2022 lors de la révolte contre le pouvoir en place. Rappelons-nous : il y a deux ans jour pour jour le 16 septembre 2022, une étudiante est arrêtée par la police à Téhéran car elle a mal mis son foulard. Tabassée en détention par des policiers, elle succombe à ses coups quelques jours plus tard. Cet événement va créer une énorme vague de contestation qui va faire vaciller le régime théocratique iranien. Ça, c’est pour le contexte, l’histoire porte plus précisément sur une famille de Téhéran. Un père fonctionnaire, Iman, une mère au foyer, Najmeh, et leurs deux filles, l’une lycéenne, Sana, l’autre étudiante, Rezvan. Une famille de la classe moyenne sans histoire jusqu’au jour où le père prend un poste de juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran. Cette promotion au moment même de ce début de révolution va créer une tension crescendo au sein de la famille. Déjà, ce nouveau rôle perturbe Iman car il l’amène à ouvrir les yeux sur une justice inique qui peut condamner à mort sans vrai procès. Par ailleurs cette nouvelle fonction doit être cachée car elle peut être dangereuse pour lui et sa famille – les filles ne peuvent ainsi pas dire ce que fait leur père – elles doivent contrôler strictement leur fréquentations – personne ne doit voir leur père à la maison. A cette tension initiale vont s’ajouter deux événements qui vont amener Iman et sa famille dans une spirale paranoïaque infernale. Ainsi le père va perdre son arme chez lui et Rezvan va aider une amie blessée par balle par des miliciens du régime. La suite c’est à découvrir.
Côté réalisation, on n’est clairement pas dans un film lent, sans ressort, mou. Au contraire la mise en scène nous laisse peu respirer, elle nous entraine dans ce huis clos familial où chaque personnage est parfaitement incarné (les acteurs sont juste parfaits). Les seules ouvertures hors de cet espace sont les informations sur la révolte que reçoivent les femmes de la famille par les réseaux sociaux ou les informations télévisées. Le réalisateur utilise ainsi ces images documentaires de violence contre les manifestants pour montrer la cruauté de la répression et c’est très puissant dans le récit. Comme dans un bon thriller, le film monte progressivement en tension jusqu’aux 15 dernières minutes totalement glaçantes. Au-delà d’un film d’ambiance, les graines du figuier sauvage est marqué par des scènes que l’on n’oublie pas tant elles nous perturbent : telle celle de l’interrogatoire des femmes de la famille (par un pseudo ami) ou encore celle des soins prodigués sur l’amie blessée de Rezvan qui montre l’arrivée de l’horreur dans un lieu que l’on pense protégé.
C’est toute la puissance du film que de se concentrer sur cette famille mais pour mieux représenter cette révolte et ce que vivait l’Iran à l’époque et à l’heure actuelle malheureusement. La famille est irriguée par les courants contraires que traverse la société iranienne. Le père du fait de sa fonction de juge d’instruction se trouve acteur de la répression. Et même s’il a au début quelques doutes, sa loyauté ou plutôt sa croyance au régime est totale. A l’opposé, ses filles sont sensibles au mouvement de révolte qui demande plus de liberté pour les femmes. C’est le fameux slogan Femme Vie Liberté. La mère est tiraillée entre son souhait de vie paisible et protégée que lui propose son mari, sa foi et l’injustice de la répression faite à cette jeunesse. C’est là que le film devient grand car par petites touches il nous fait sentir la cruauté et l’asservissement de la femme dans la société iranienne. La paranoïa d’Iman n’est que le reflet d’un pouvoir délirant ne comprenant plus son peuple. Le film nous plonge ainsi dans l’horreur et l’absurdité d’un régime totalitaire : les risques si l’on dévie de la ligne du régime, les amis qui deviennent des ennemis par intérêt, la crainte de tout perdre à tout moment.
Les graines du figuier sauvage est un grand film par le sujet qu’il porte mais surtout par sa mise en scène. On ne s’ennuie pas une seconde, c’est un vrai thriller politique intelligent qui nous interroge sur la liberté des femmes dans le monde et sur la religion. Car le film montre subtilement le lien entre religion, patriarcat et oppression des femmes. Ce n’est pas nouveau les religions monothéistes ont toujours donné à la femme un rôle subalterne. Mais c’est assez puissant de rappeler cela au moment où les courants conservateurs des différentes religions prennent de plus en plus de poids. Le film m’a fait ressentir comme rarement l’asservissement des femmes et les risques qui pèsent sur leur liberté partout dans le monde. Et comme le démontre le film, si vous touchez aux libertés des femmes ou d’autres minorités d’ailleurs, vous touchez au final aux libertés de tous.
–
Chronique : Johan M.
Animation : Emma
Réalisation : Alexis et Marlon
Crédits photos : Trigon-film
Première diffusion antenne : 16 septembre 2024
Mise en ligne : Johan
Publié le 19 septembre 2024
Un contenu à retrouver également sur l'application PlayPodcast
Commentaires
Pas encore de commentaire pour cet article.