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Le féminisme à l’honneur du prix Européen de l’Essai 2022

Estelle Sauser | 2 avril 2022

Ce prix décerné depuis 1975 a pour but de souligner l’importance du genre littéraire de l’essai, comme outil de dialogue et de confrontation des idées au sein d’une société. Mona Chollet en est cette année la 44e lauréate.
« Réinventer l’Amour » n’est pas son premier essai sur le sujet du patriarcat, elle était déjà connu pour ses publications comme Sorcières : la puissance invaincue des femmes en 2018, ou encore Beauté fatale ; les nouveaux visages d’une aliénation féminine en 2012. Elle est également cheffe d’édition au Monde Diplomatique depuis 2016.

Dans l’essai dont je vous parle aujourd’hui, Mona Chollet s’attaque à ce qui est peut être considéré comme un paradoxe pour de nombreuses femmes hétéro : d’un côté leur engagement et leurs convictions féministes, et de l’autre côté, le fait de sortir avec des hommes cis-hetero. A défaut de toutes prendre le parti du « lesbianisme politique » pour s’enlever le fardeau lié à l’hétérosexualité, pour Mona Chollet, nous avons toutes intérêt si l’on veut s’épanouir dans des relations avec des hommes, à actualiser les dynamiques.

Dans « Réinventer l’Amour », elle décortique les constructions et les représentations au cœur des couples hétéros en posant un premier constat indéniable. L’amour n’est pas une oasis, un sanctuaire aux limites duquel les injustices patriarchales cessent d’exister. Même si tout dans la culture populaire dont on nous abreuve nous laisse croire que les belles histoires d’amour sont un espace hors du temps et de toute relation de pouvoir.
Il n’en est rien.

Mais alors il faut se passer de l’amour ?

Non et Mona Chollet le précise dès les premières pages, en mettant en avant son côté fleur bleue et sa conviction que l’amour peut transporter les gens. Mais elle analyse la construction du genre et de son conditionnement dès le plus jeune âge, qui démontrent à quel point le patriarcat s’immisce au sein du couple.
L’essai est divisé en quatre chapitres, et commence par discuter l’infériorité des femmes comme idéal romantique. Dans leur statut social, économique, leur façon de s’affirmer et d’exister par rapport aux hommes.
Dans ce premier chapitre j’ai beaucoup aimé qu’elle inclue le prisme du racisme et de la fétichisation que subissent en Occident les femmes racisées, qui doivent répondre à tous les fantasmes d’exotisme, variant selon leur race. Elle discute par exemple la condition des femmes asiatiques qui sont proie à une double féminisation, leur prétendue soumission sexuelle d’une part et leur diligence domestique de l’autre. Ces femmes qui seraient des poupées, dont le propre est d’être silencieuse.
Dans le deuxième chapitre le cas des hommes violents et des violences conjugales et décortiqué. C’est tellement dense et révélateur, qu’il y a bien trop d’extraits que j’aimerais vous citer.

Mais elle constate que les femmes sont constamment mise en avant dans des termes qui soulignent leur dévouement, leur abnégation ou leur souci des autres. Ces qualités sont inhérentes à notre conception du féminin. Et notre culture ne cesse de présenter le mal qu’un homme peut faire à une femme comme une preuve d’amour, avec toute la controverse autour de l’utilisation du terme « crime passionnel », qui romantise et excuserait un féminicide.
Cette vision d’analyse systémique et détaillée est utilisée dans les chapitres suivant. Dans le chapitre 3, c’est l’investissement émotionnel des femmes en amour et leur réalisation à travers celui-ci qui est présenté. Pourquoi les femmes ont-elles tendance à accorder un tel prix à l’amour, pourquoi abaissent-elles leurs exigences de réciprocité d’attention, de bienveillance, d’investissement personnel dans leurs relations amoureuses ? Quels effets cela a sur leurs relations avec les hommes ?

Tu ne vas pas nous le dire ?
Je ne peux pas TOUT dire parce que sinon autant que cette chronique devienne un livre audio.
Mais laisse-moi finir avec le dernier chapitre, qui aborde un point intéressant sur les femmes en tant que sujet érotique, et non plus objet érotique. L’image qu’on les femmes d’elles-mêmes est celui du regard masculin, qui les poussent à se traiter comme des objets destinés à être regardés et évalués. Elle y aborde aussi la question des fantasmes masochistes que peuvent avoir les femmes et elle propose des hypothèses pour expliquer cette opposition apparente entre désir d’égalité et fantasmes de soumission.

Une piste, il faudrait que l’égalité soit érotisée.
Voilà pour le contenu, j’en ai peut-être un peu trop dit, désolé je n’ai pas pu m’en empêcher, mais pas d’inquiétudes car c’est un essai qui reste très dense.

Etant déjà sensible à la cause, j’ai évidemment beaucoup apprécié cet ouvrage, qui était ma première lecture de Mona Chollet. Sa plume est très fluide malgré la quantité de sources, de concepts et d’exemples cités. La lecture était vraiment facile et agréable, elle a réussi à rendre digeste un contenu qui s’apparente à une thèse, tout en y incluant des anecdotes personnelles.
En fermant le livre j’ai quand même eu un petit sentiment de frustration, en me disant, bon et comment est-ce qu’on fait du coup ?
Je n’ai pas trouvé de pistes dans cet ouvrage pour imaginer comment concrètement changer.
Dans tous les cas c’est pour moi un essai d’utilité publique qu’il ne faut pas hésiter à acheter, offrir, prêter ou emprunter.

Et si vous l’avez déjà lu ou que vous être curieux et curieuses, il y a plusieurs évènements en lien avec le Prix de l’Essai Européen qui peuvent vous intéresser. Le 07 avril à l’Université de Lausanne aura lieu une table ronde avec Mona Chollet, le 8 avril il y aura la cérémonie de remise de prix ouverte au public sur inscription au Lausanne Palace. Et si vous préférez rester à Genève, le 09 avril elle sera en séance de dédicace au Payot de Rive dès 11h !

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Chronique : Estelle
Réalisation : Cyril
Crédits photo : © Safia Delta
Date de diffusion : 23 mars 2022
Publié le 27 mars 2022

Une publication de Estelle Sauser


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