menu Home search
CultureLa QuotidienneThéâtre

L’Amour Fou (Du Théâtre), masterclass d’émotions

Léo | 8 février 2023

Nicolas ZLATOFF nous invite à la Comédie de Genève pour L’Amour fou (du théâtre), un spectacle dont le but est de rester inachevé, éphémère, mouvant.

Plutôt que de nous proposer une représentation, Nicolas Zlatoff nous invite à une répétition.
Trois heures de travail, avec deux pauses, pendant lesquelles le public est libre de partir, de revenir, ou de boire une bière au bar, en observant sur un écran géant ce qui se passe dans la salle.
Il s’agit de montrer le théâtre en train de se faire, de se transformer, de changer sans cesse de forme.

Sur le plateau: cinq comédiennes, un comédien et le metteur en scène. Autour d’une table, avec une petite lampe de bureau, ils répètent La Mouette, de Tchekhov.
Ils en sont au tout début. Le texte, d’ailleurs, ils ne l’ont pas encore appris. La semaine dernière, ils abordaient pour la première fois l’acte IV. Mais ce que j’ai vu, vous ne le verrez pas. Chaque soir, des passages différents sont traités, selon l’intuition du jour.

Méthode Stanislavski

Après une première lecture, neutre, la troupe démarre sa recherche. Elle suit une technique inspirée de ce qu’on appelle « l’école Russe ». Un mode d’interprétation développé par Constantin Stanislavski à la fin du 19ème siècle… pour les premières représentations des œuvres de Tchekhov, justement.

Cette méthode se base sur l’exploration de la psychologie des personnages, pour développer un jeu naturaliste, qui s’appuie sur un ancrage profond des émotions.

Et il y a de quoi faire avec La Mouette! C’est l’histoire de Tréplev, un poète maudit, qui rêve de formes nouvelles. Il rejette sa mère, actrice à succès d’un théâtre conformiste. Il jalouse son beau-père, auteur à la mode mais sans âme. Il aime Nina, d’un amour torturé, impossible, qui le perdra.

Au coeur des pauses tchekhoviennes

Tchekhov est célèbre pour ses fameuses pauses. Des temps de silence où personne ne parle, où le dramaturge laisse exister la tension de l’instant.

L’Amour Fou (du théâtre) nous emmène au cœur de ces moments, dans les profondeurs des héros thekhoviens, face à ce magma bouillonnant de tristesse, de désir, de colère.

Le travail minutieux de la troupe amplifie la richesse de construction des personnages. On entre dans leurs méandres, pour découvrir, un univers structuré en fractale, où des thèmes se répètent, d’un rôle à l’autre.

Medvedenko, le maître d’école, supplie sa femme de rentrer à la maison, où l’attend leur enfant qu’elle n’a pas vu depuis trois jours. Est-ce qu’il révèle un tempérament manipulateur, un chantage affectif, ou sa propre détresse?
Derrière une simple réplique, il y a tout un univers à explorer.

Les interprètes sont invités à dérouler avec leurs propres mots l’histoire des protagonistes, à creuser les relations qu’ils tissent entre eux, à questionner les non-dits. Ils s’engagent personnellement, fouillent leurs propres sensations… bref, ils s’identifient à ce qui se déroule sur le plateau.

Des interprètes qui se jettent dans le vide

Rien n’est écrit à l’avance, tout est possible, on joue sans filet. Les acteur·ices se jettent dans le vide avec intensité, prennent des risques, essaient différentes pistes. Et soudain jaillit l’un de ces instants magiques où tout à coup on trouve quelque chose de juste, où le texte s’éclaire d’un jour nouveau.

Difficile d’enfermer le spectacle dans une description. C’est une répétition, c’est aussi le tournage d’un film, en même temps qu’un documentaire sur les techniques de jeu héritées de l’école Russe.

Tchekhov se prête bien à ce genre de mise en abîme. La Mouette, La Cerisaie, Oncle Vania, ses pièces tissent une extraordinaire tapisserie où des motifs similaires se répondent. On peut les mélanger, les découper, les démarrer à n’importe quelle scène, on se retrouvera toujours à peu près au même point. Des personnages qui disent qu’ils s’en vont mais qui ne partent jamais. L’impression de passer à côté de sa propre vie. Une tempête de passions sous la monotonie de la campagne.

Un spectacle pour tous·tes les amoureux·ses du théâtre
Il y a un plaisir immédiat, simple, à entrer en résonance avec la troupe. Ces êtres humains, à quelques mètres de nous, qui ont choisi d’exprimer sur scène les sentiments qu’on garde enfermés dans nos dénis. On les voit travailler, répéter, construire leurs rôles couche après couche, patiemment. On les comprend, on les admire, on les envie.

Nous traversons une période de transformations, d’inquiétudes, de crises. Nous avons des choses à exprimer, à vivre, à partager. Des émotions cherchent la sortie, que nous ne savons pas nommer, que nous n’osons pas regarder.

Nous avons besoin de comédiennes et de comédiens, besoin d’observer leur art, de voir comme ils jouent, pour nous apprendre à ressentir, à parler, à inventer des formes nouvelles de société.

Sans cela, notre monde continuera sa longue pause tchekovienne. Où personne n’ose rien dire. Où tout le monde attend, en silence, que quelque chose finisse par craquer.

L’Amour Fou (du théâtre) , mise en scène de Nicolas Zlatoff, du 08 au 19 février 2023 à La Comédie de Genève

_
Chronique : Léo
Animation : Zebra
Réalisation : Ornella, Raphaël et Arthur
Première diffusion antenne : 07 février 2023
Crédit photo : © Yvo Fovanna
Publié le 08 février 2023

Une publication de Léo


Envie de soutenir un média gratuit,
indépendant et local ?

Rejoins Vostok+


Commentaires

Pas encore de commentaire pour cet article.

Commenter




play_arrow thumb_up thumb_down
hd