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Ivre de livres, la librairie-vinothèque C. Pages

Léo | 22 décembre 2022

Chaque année c’est la même histoire. Le calendrier défile, l’anxiété monte et les files d’attente dans les supermarchés s’allongent.

Nos nuits sont fiévreuses. On se réveille en sueur à 2h du matin. On pense à sa tante qu’on n’a pas vue depuis 10 ans, à notre cousin bizarre et à sa femme, à notre ami d’enfance qui vient d’avoir un bébé. Ça devient une obsession. Il ne faut oublier personne.

Heureusement, on n’est plus condamnés, aujourd’hui, à sortir d’un magasin, les yeux vitreux et les bras chargés de gadgets en plastique.
Il existe des alternatives à cet immense gaspillage.

Offrir un livre, par exemple. Issu du terroir local. Le fruit d’un savoir-faire transmis de générations en générations. Au goût subtil et aux couleurs chatoyantes. Qui nous élève l’esprit, nous fait voyager, nous enivre.

Aujourd’hui, on se promène dans le quartier de Saint Jean, à la découverte d’une librairie-vinothèque.
Les C Pages – cépages-, avec un C majuscule, l’initiale de sa fondatrice, Catherine Méan.

On est à côté du Parc des Délices et de la Maison Voltaire. Au Moyen- ge on a planté des vignes, ici. Face au soleil, au sommet des falaises qui dominent le Rhône. Un lieu où grandit le raisin et la raison.

Il y a deux grandes baies vitrées qui donnent sur la rue. A droite, des bouteilles de vin et de bière, à gauche: des livres.

Catherine Méan s’est installée en Février 2022, avec l’envie de promouvoir la culture et le terroir genevois.
Dans sa boutique, elle organise des lectures, des expositions, des dédicaces et… des dégustations.

Et le catalogue est varié. On trouve des romans, mais aussi des essais, des ouvrages d’histoire, de la photo, des livres jeunesse, des bandes dessinées. Tout est local, écrit par des auteurs de la région.

Le coup de cœur du moment s’intitule Tout Garder, de Carole Allamand.

L’histoire est inspirée de la relation de l’autrice à sa mère décédée. Elle se passe juste là, à quelques rues des studios de Radio Vostok.
Dans un appartement où s’empilent objets et déchets en tout genre.
On appelle cela le syndrome de Diogène, une étrange manie qui pousse certaines personnes à tout conserver, jusqu’à l’engloutissement.

Cette maladie agit comme un miroir de l’addiction de notre société à la consommation.
Notre maison collective, notre planète, est noyée, elle aussi, sous des montagnes de produits, vite fabriqués, vite jetés.
De quoi nous faire réfléchir en cette période d’achats frénétiques.

Du côté de l’alcool, les brasseries et les principaux domaines genevois sont bien représentés à C. Pages.

Par exemple “La Châtelaine Rouge”, la vigne d’un auteur de bande dessinée du coin: le célèbre genevois ZEP.
Un dessinateur oenophile, voilà qui réunit parfaitement la création littéraire et le génie viticole. La boucle est bouclée.

Ces deux arts partagent de nombreuses métaphores. Ils expriment l’identité d’une terre, d’une communauté. Chacun est un savoir-faire de la patience, et ils nous permettent de nous évader.

Il en va des récits comme des bouteilles: il y en a qui se dégustent lentement, qui s’apprécient avec le temps. D’autres veulent simplement nous faire passer un moment agréable, sincèrement mais sans prétention.

La librairie C.Pages donne envie d’imaginer de nouveaux accords de livres et vins, comme on associe un plat à un grand cru.

En création, la boisson a été une source d’inspiration – mais aussi d’errance. Dans la poésie, je pense aux Fleurs du Mal, de Baudelaire, ou à la dépendance à l’absinthe de Verlaine. Les personnages de Dostoïevski sont rarement sobres. Zola a fait de l’alcoolisme une des malédictions de sa saga des Rougon-Macquart.
Hergé décide, lui, de rire de l’addiction du Capitaine Haddock, qui rêve, dans le désert, d’un Tintin devenu Champagne.

La scène géniale du Crabe aux Pinces d’Or, il est d’ailleurs question dans cet album d’un trafic d’opium. Une drogue terrible, qui a également marqué la littérature. Baudelaire en parle longuement dans Les Paradis artificiels. On en perçoit l’influence dans l’œuvre d’Edgar Allan Poe. Pour ressentir l’atmosphère vaporeuse et lourde de la Maison Usher, un verre de rosé ne lui suffisait malheureusement pas.

Fermez les yeux, et imaginez la lande glaciale. Le souffle du vent et le bruit de la pluie. Le grincement d’une porte métallique. Vous y êtes, pas besoin d’opium.
C’est incroyable, cette capacité de notre esprit à construire des mondes fictionnels, à partir d’une simple évocation!

On atteint ces états par l’art, les récits, la danse, la musique…

Des auteurs ont pris, pour nous, le risque de s’égarer.
Pour créer des mots qui font voyager, ils ont exploré les effets de certains végétaux sur leur cerveau. La fleur de pavot pour Edgar Poe. Le cactus ou les champignons pour Aldous Huxley, qui s’en est inspiré pour écrire des textes fondateurs du psychédélisme.

Je m’éloigne un peu du sujet, mais je trouve que c’est important de se rappeler que la culture européenne s’est conçue en relation étroite avec une liane, qu’on appelle la vigne.

C’est notre plante sacrée. Pour elle, nous avons aménagé des terrasses dans le Lavaux, taillé des ceps sur les coteaux genevois, prié Bacchus et fêté les vignerons. On a donné des spectacles, récité des poèmes, écrit des livres.

Notre imagination nous permet de rêver, de partager les émotions de personnages fictifs. Elle nous incite à lire sans modération. A boire avec parcimonie, et respect.

Tout est lié: le raisin, nos croyances, nos œuvres d’art, notre environnement.

Et il suffit de creuser un peu, sous la librairie C.Pages, pour découvrir les racines des anciens vignobles du quartier de Saint-Jean.

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Chronique : Léo
Animation : Zebra
Réalisation : Ornella
Première diffusion antenne : 20 décembre 2022
Crédit photo : © Librairie C. Pages
Publié le 22 décembre 2022

Une publication de Léo


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