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CultureExposLa Quotidienne

Histoires Inachevées, l’art de la résilience

Léo | 31 mai 2023

L’artiste Kosovar Petrit Halilaj présente Histoires Inachevées , au Musée International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Une histoire qui commence dans l’horreur de la guerre et mène à l’apaisement, au calme et à l’harmonie. Une exposition qui aide à dépasser les traumatismes, à transformer des cauchemars sombres en rêves colorés.

Il faut d’abord entrer dans une grande salle, lumineuse. Du plafond descendent de grandes plaques de feutres, sur lesquelles on voit des dessins d’enfant. Un perroquet, des oiseaux, une gazelle. Découpés comme pour en faire des collages. Ils flottent dans les airs, tenus par des fils de coton. Cela ressemble à ces livres magiques, qui déploient des décors en relief quand on les ouvre.

53 images sont ainsi suspendues, réparties dans toute la profondeur de la salle. Ensemble elles constituent une œuvre monumentale, qui se lit d’abord comme une peinture en deux dimensions, depuis l’entrée. Un paysage étrange, une jungle naïve et multicolore.

Dessins d’enfance

Ces dessins ont été réalisés il y a vingt-cinq ans. C’était dans un camp de réfugiés, en Albanie, Petrit HALILAJ avait treize ans. Il est né au Kosovo, en 1986. A la fin des années nonantes, les tensions entre les différentes populations de la Yougoslavie ont déclenché un déferlement de violence et de barbarie, qui a poussé des millions de personnes à l’exil.

Parmi elles, Petrit et sa famille, qui ont dû s’enfuir après la destruction de leur village. Dans le camp qu’ils rejoignent, un psychologue italien, Giacomo POLI, incite les enfants à dessiner pour tenter de mettre à distance les traumatismes de la guerre. Alors Petrit trace, colorie, invente. Des univers fantasmagoriques, sortes d’Eden colorés peuplés de perroquets joyeux. Mais aussi des soldats, des civils sur la route, une maison en flammes, celle de ses voisins, détruite par les militaires serbes.

Conte de Fées

Ces scènes à la fois naïves et bouleversantes, et le coup de crayon déjà bien maîtrisé de ce petit kosovar attirent l’attention. En visite dans le camp, le Secrétaire Général des Nations Unis, Kofi Annan, s’arrête un instant devant les travaux de Petrit, sous l’œil des caméras. Il faut dire qu’il y a quelque chose de profondément touchant, d’universel, dans cette image d’un gamin, victime parfaitement innocente d’un conflit injuste.

Mais on n’est pas dans un Disney. Le papier et les crayons ne peuvent pas grand chose face à la haine et aux kalashnikov. Petrit HALILAJ refuse de donner son dessin à Kofi Annan.

Le temps passe. Les bombardements de l’OTAN, la chute de Milosevic, le statut incertain du Kosovo, les tensions, toujours, avec la Serbie. Et puis les guerres, sur tous les continents, qui continuent.

Petrit HALILAJ est devenu artiste. Il vit entre Berlin, l’Italie et le Kosovo. Ses œuvres monumentales sont exposées dans les galeries, dans les biennales. Des fleurs gigantesques, des débris qui flottent dans les airs, des nids immenses, tissés de branches mortes. Des œufs, des oiseaux. Une ambiance surréaliste, qui évolue d’une installation à une autre à la frontière du rêve et du cauchemar. Son travail est marqué par ses traumatismes. Il raconte une histoire de reconstruction, de résilience.

Santé Mentale

Il y a trois ans, il a osé ouvrir la boîte dans laquelle étaient restés enfermés ses dessins d’enfants. Il les a scanné, agrandis, les a découpés, pour constituer une œuvre nouvelle, une forme de synthèse, inédite, à partir des fragments de son propre passé. Une installation qu’il présente, au Musée International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, pour sa première exposition à Genève.

En déambulant dans la pièce, on pénètre dans l’œuvre. On se perd entre les papillons, les gazelles, les palmiers. On découvre l’envers du décor, ce qui nous était caché depuis l’entrée, à l’arrière des panneaux de feutre. Un soldat brandissant un couteau, un tank, des ruines.

On a le sentiment de se promener dans le cerveau de Petrit HALILAJ, dans ce monde oscillant entre optimisme et douleur. Celui d’un homme qui se reconstruit en créant, qui a fait de ses cauchemars et de ses rêves la matière première de son talent.
L’installation “Histoires Inachevées” aborde la question de la santé mentale sous un angle esthétique, sensoriel.

C’est l’histoire d’un art qui soigne, qui réchauffe, et qui inspire.
Qui nous rappelle que pour nous, les humains, créer, imaginer, inventer, c’est quelque chose de vital. C’est une urgence, une évidence, au-delà de tout snobisme, de toute distinction sociale, au-delà des codes du bon goût et de l’entre soi.

On ne va pas au théâtre, au musée, au concert, pour raconter qu’on y était. Qu’on a vu la dernière création à la mode, la star du moment, l’avant garde tellement conceptuelle qu’on n’y comprend rien.

On y va parce qu’on a besoin d’art, tout simplement. Comme on a besoin d’oxygène, de soleil, et de deux fois moins de CO2 dans l’atmosphère.

On a besoin de culture, de beauté, de rêve. C’est pas grave si on ne sait pas dessiner. Ça ne sert à rien de faire la queue à la billetterie pour avoir la meilleure place au Grand Théâtre de Genève. Il suffit d’ouvrir cette porte, qui existe au fond de nous. Qui nous fait voir autre chose que le monde qui est devant nos yeux. Cela peut arriver n’importe quand. Dans une forêt, le long du Rhône, ou même en fermant les yeux et en écoutant la radio.

Histoires Inachevées ,une installation de Petrit HALILAJ, au Musée International de la Croix Rouge et du Croissant Rouge, du 25 mai au 17 septembre 2023

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Chronique : Léo
Animation : Zebra
Réalisation : Arthur et Raphaël
Première diffusion antenne : 30 Mai 2023
Crédit photos: © Zoé Aubry
Publié le 31 Mai 2023

Une publication de Léo


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