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Arts vivantsCultureLa Quotidienne

Hiatus, une danse qui ose prendre son temps

Léo | 10 mai 2023

Dans le cadre de la Fête de la danse, le théâtre du Galpon présente Hiatus ou le bruissement de l’entre , jusqu’au 14 mai 2023. Un spectacle de la danseuse Noémi Alberganti et du musicien Mael Godinat, qui prend son temps, s’autorise des pauses pour mieux revenir à l’essentiel.

A l’origine, “Hiatus” est un terme de linguistique, qui désigne la rencontre entre deux voyelles successives. Comme dans “aérien”, “théâtre”, “au cas où”. Je dis rencontre, mais je devrais plutôt dire collision. Parce que dans la langue comme dans la vie, on n’aime pas les hiatus.

On veut que ça coule, que ça glisse sans à-coups, on a peur des silences, des temps morts, de l’ennui. Alors vas-y qu’on rajoute des consonnes entre les mots, et qu’on empile les activités dans nos agendas.

La chorégraphe Noémi Alberganti prend à contrepied notre culture du sans-transition, où les vidéos tiks-toks s’enchaînent en une fraction de seconde, sans que l’on voit les heures passer.

On enlève nos chaussures et on s’assied sur l’une des chaises, réparties tout autour de la pièce. Une petite vingtaine de places, une ambiance de cocon, comme une bulle loin du bruit de la ville.

Immobiles sur le plateau, Noémi Alberganti et Mael Godinat s’observent sans croiser leurs regards. Ils clignent des yeux. Leur nuque torsadée, comme on tourne soudainement la tête dans une forêt, parce qu’on a entendu une branche craquer derrière nous.

Cela dure. Les interprètes travaillent avec un rythme qui peut déstabiliser quand on s’est habitué aux spectacles qui attaquent à toute berzingue. Ici, on prend son temps. Après un moment, Mael Godinat s’installe à ses claviers, il diffuse un son blanc, qui évoque du vent dans des feuilles, des sifflements d’insectes ou la respiration d’une machine imaginaire. Noémi Alberganti commence à danser.

Sa chorégraphie est en partie improvisée, construite autour d’une réflexion sur l’ancrage, la gravité, l’équilibre. Ses pieds se déplacent par à-coups, comme les petits pas des joueurs de tennis lorsqu’ils ajustent leur position sur le court. Ces mouvements que l’on fait malgré nous, pour nous maintenir debout, pour nous préparer à l’action suivante.

Noémi Alberganti puise une énergie immense venue du sol, elle y déploie des racines qui donnent à ses jambes une force immense. Quelque chose qui la dépasse, mais dont elle sait jouer, qui lui donne une assise et permet à son buste, ses bras et sa nuque de se déployer, au-dessus, dans le rythme répété de ses arabesques.

Dans cet espace réduit, avec un public restreint, on se sent privilégié de voir la chorégraphe évoluer à quelques centimètres de nous. Quelque chose d’intime, de personnel, se tisse avec elle. Elle danse pour nous. Pas pour nous plaire, pas pour nous faire réfléchir ou pour dessiner des images agréables. Mais pour qu’on danse, avec elle, qu’un mouvement s’active en la voyant bouger.

Dans les gouttes de transpiration qui perlent sur son front, qui glissent entre les paillettes autour de ses yeux, il y a une partie de nous qui coule. On a le sentiment de participer à une rituel, d’être soigné, purifié, en la regardant.

Un autre instant immobile. Cette fois c’est Mael Godinat qui occupe l’espace. Plutôt sa musique. Son corps est devant nous, debout face à celui de sa partenaire. Dans l’air, une douzaine de voix mixée en une nappe aérienne, stellaire. Un son continu, qui semble vibrer dans la pièce, qui nous envahit avant de refluer, dans une lente ondulation. C’est un moment très fort, où il ne se passe pourtant pas grand chose. Juste nous, les interprètes et la musique.

Hiatus ou le bruissement de l’entre est un spectacle à la fois simple et compliqué. Simple parce qu’il cherche à éviter les effets, parce que les artistes sur le plateau s’autorisent des pauses, des silences, des coupures. Ils nous ramènent à la simplicité du son, des gestes, et de leurs effets sur notre corps, sur notre imaginaire.

Ce dépouillement peut être déstabilisant pour les spectateurs. On peut se retrouver perdu, sans ligne à suivre, sans histoire à laquelle se raccrocher.

Mais c’est tout de même très beau. Alors pour vous laisser transporter par le travail subtil de Noémi Alberganti et de Mael Godinat, je vous propose un fil à dérouler, au cas où. Celui d’une rencontre qui n’en est pas vraiment une. Lorsque nos yeux se posent, par hasard, sur un ou une inconnu.e. Cela peut être dans le train, le bus, dans la rue. Cela dure à peine une seconde. On était en train de marcher, de réfléchir à notre prochaine réunion. Et dans ce regard c’est comme si un monde parallèle s’ouvrait, tout à coup, dans les replis de votre réalité. L’autre est là. Avec son univers propre, le mystère de son existence, sa façon unique de percevoir le monde. Cela dure à peine le temps d’un battement de cil, nos yeux clignent, et puis on continue notre chemin. On passe à autre chose.

Au Théâtre du Galpon, Hiatus ou le bruissement de l’entre étire cet entre deux, le laisse durer le temps d’un spectacle. Entre deux vies, entre deux pas, entre deux agitations. Une heure de calme où l’on peut se laisser aller à rêver.

Hiatus ou le bruissement de l’entre , une création de Noémi Alberganti et de Mael Godinat au Galpon, du 9 au 14 mai 2023

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Chronique : Léo
Animation : Zebra
Réalisation : Arthur
Première diffusion antenne : 9 Mai 2023
Crédit photos: © Elisa Murcia Artengo
Publié le 10 Mai 2023

Une publication de Léo


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