Gipi, l’art du patchwork en BD

La chronique BD du jour est consacrée à « Moments extraordinaires sous faux applaudissements ». Le nouvel album du dessinateur Gipi paru chez Futuropolis.

Gipi, de son vrai nom Gian Alfonso Pacinotti, c’est un dessinateur italien qui a déjà reçu de nombreux prix pour ses BD.
Il s’est lancé dans un projet ambitieux avec ce nouveau volume : 164 pages grand format, où il alterne divers fils narratifs.
Apparemment, ceux-ci n’ont pas de rapport les uns avec les autres, mais ils finissent par se rejoindre et déployer une espèce de fresque autour du personnage principal, Landi.

En lisant le début, on est un peu perdu, et puis on arrive petit à petit à remettre de l’ordre dans ce bazar.
Landi, c’est un type qui traverse une période difficile : sa mère est en fin de vie dans un EMS.
Il va là-bas tous les jours, voir cette mère grabataire; et il lui parle ou il essaye de lui parler, alors qu’elle n’est plus en état de le comprendre et encore moins de lui répondre.
Évidemment, ça lui tape sur le moral. Et c’est dommage, puisque le métier de Landi, c’est de monter sur scène pour des one-man-shows comiques.

En manque d’inspiration pour son spectacle du moment, il décide d’ironiser sur la situation macabre de sa mère.
Ça donne ça, par exemple : « Le problème, c’est que les vieux moribonds se ressemblent tous … Et donc au bout de trois jours j’ai découvert que je m’étais trompé de chambre. Ce n’était pas ma mère ! Je ne sais pas du tout qui c’était, cette vieille … »

Landi, à part l’état de santé de sa mère, et bien il porte aussi en lui une profonde blessure : il a appris il y a quelque temps qu’il est stérile. Extérieurement, il donne l’impression de s’en foutre, intérieurement, il est ravagé.
Pol Pot, le dictateur cambodgien aux trois millions de morts, il a eu une fille; Goebbels, le ministre de la propagande de Hitler, six enfants …
Alors … les gênes de ces monstres, ils vont continuer à se transmettre à d’autres générations, mais ceux de Landi, eux, ils sont sur une voie de garage.

Landi, qui pensait s’en foutre, sent en lui un homme primitif, qui se cabre devant l’idée qu’il n’aura pas de suite, pas de lignée.
Voilà le fil rouge du livre, le quotidien de ce type, qui alterne les visites déprimantes à sa mère et les spectacles de stand-up, parmi lesquels un show avec des rires et des applaudissements pré-enregistrés, façon sitcom.

D’autres histoires viennent se superposer avec le quotidien de Landi, elles racontent des choses plus oniriques qui complètent et éclairent à leurs façons le vécu de Landi.
Il y a cet homme primitif dont on a déjà parlé, qui apparaît de temps en temps, sous la forme d’un homme des cavernes désemparé qui erre sans but.
Il y a des souvenirs d’enfance de Landi, sur une plage, ou quand il devait s’occuper de sa mère, déjà malade.
Il y a un merveilleux dialogue entre Landi et une version de lui-même enfant, vers 10 ans; le mioche donne une leçon de vie à l’adulte désabusé et focalisé sur ses problèmes.

Enfin, il y a l’histoire assez mystérieuse de quatre cosmonautes qui arrivent sur une planète désertique et peu hospitalière, depuis laquelle ils veulent atteindre encore une autre planète.
Je ne vais pas spoiler comment cette histoire de SF rejoint les mésaventures de notre personnage, mais à mon avis c’est la trouvaille la plus ingénieuse du scénario de Gipi.

Question dessin, on a affaire à quoi ?
Du grand art, tout simplement ! Gipi est un virtuose, au dessin réaliste et expressif, avec en plus un sens de la mise en page assez unique.
Le résultat dans ce « Moments extraordinaires sous faux applaudissements » est assez bluffant : l’album alterne le noir et blanc et de magnifiques couleurs à l’aquarelle.
Et puis, des atmosphères diverses se succèdent, admirablement rendues, depuis des moments sombres et opaques jusqu’à des passages beaucoup plus lumineux et apaisés.
Le patchwork du scénario est illustré par une palette graphique à l’esthétique assez classique mais absolument impeccable.

Voilà…. Monsieur Gipi, c’est le moment, je pense, pour de vrais applaudissements.

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Chronique : Pacôme
Animation: Lola
Réalisation : Pablo
Crédits photos : DR
Date de diffusion : 16 février 2021
Publié le 23 février 2021 à 12h52
Mise en Une le 2 mars 2021 : Karine

Une publication de Pacome