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George Kaplan ou le pouvoir de la fiction

Léo | 24 mai 2023

Elidan Arzoni met en scène George Kaplan , écrit par Frédéric Sonntag, jusqu’au 4 juin 2023 au théâtre du Loup. Une pièce joyeuse et politique qui met en abyme la puissance de notre imaginaire, et révèle les rapports entre le pouvoir et la fiction.

A l’origine, George Kaplan est un personnage du film de Hitchcock North by Northwest (La Mort aux Trousses) . Cette fameuse image de Cary Grant poursuivi par un avion, dans la solitude des champs de maïs, au milieu du Midwest américain.

Tout cela à cause d’un quiproquo et d’une sombre affaire d’espionnage, en pleine guerre froide. Cary Grant est pris, par erreur, pour un agent de la CIA nommé George Kaplan. Il est poursuivi par un groupe de méchants espions, tandis qu’il tente de retrouver le vrai George Kaplan, pour prouver sa bonne foi et sauver sa peau. Mais il y a un twist: en réalité, il n’y a pas de George Kaplan. C’est un personnage inventé par la CIA pour servir de couverture à l’une de ses infiltrées. Tout le monde court après un fantôme, une chimère.

Caméléon

Mais la pièce n’est pas une adaptation du film. Ou alors de façon très indirecte. L’auteur Frédéric Sonntag s’inspire de la mécanique du film, dont les protagonistes se laissent aveugler par un mensonge. Il fait du nom de George Kaplan un symbole de notre imaginaire, pour observer notre rapport à la fiction. La facilité avec laquelle nous naviguons dans des mondes parallèles, construits sur des histoires, des mythes, des êtres qui n’existent pas.

Sur la gauche du plateau, des tables de réunion, des chaises. De l’autre côté, un comptoir, sur lequel est posé une machine à café. Le texte est constitué de 3 parties qui paraissent n’avoir aucun lien entre elles, mais qui partagent en fait des points communs: on y boit beaucoup de café, (d’où la machine) les personnages se ressemblent, des morceaux de répliques traversent l’espace narratif, et, bien sûr, il est toujours question d’un certain George Kaplan.

Son nom désigne tour à tour l’utopie d’un anonymat général développée par un groupe d’anarchistes pas très efficace, le héros d’un film machiavélique que doivent inventer des scénaristes pas très inspirés, et une menace diffuse agitée par une organisation genre deep state industrialo-médiatico-délirant, à faire fantasmer tout conspirationniste qui se respecte.

Sous la plume de Frédéric Sonntag, George Kaplan est une figure caméléon, un personnage invisible, le miroir de notre propre capacité à croire ce que l’on voit, tout ce que l’on nous raconte.

Comédie politique

Le spectacle est très drôle. Il passe par la caricature de ces militants perdus quelque part entre l’étape 0 et l’étape 1 de leur plan révolutionnaire. Il nous emmène dans les profondeurs de l’absurde d’un complot mêlant Chaplin, Hitchcock et la physique théorique.

Mais George Kaplan n’est pas qu’une comédie. Elidan Arzoni révèle, dans le filigrane du texte, un arrière-plan plus sombre. Une réflexion politique sur le rapport entre la fiction et le pouvoir, entre le mensonge et la violence.

Il donne une dimension tragique à un personnage de scénariste, dans l’acte 2. Un spécialiste des dialogues comiques, devenu incapable de la moindre vanne depuis une rupture amoureuse.

Vincent Jacquet interprète ce dialoguiste perdu dans une solitude sentimentale et existentielle. Un monde où l’on a déjà tellement écrit, parlé, filmé, qu’aucune parole nouvelle n’est possible. Le comédien passe d’un registre à l’autre d’une façon impressionnante. Il semble être toujours au bord de l’explosion, prêt à se répandre sur le plateau dans un torrent de colère, de larmes, de folie.

Mise en scène inventive

Sous ses airs de sobriété, la mise en scène d’Elidan Arzoni est pleine de trouvailles formelles qui résonnent particulièrement bien avec le thème de la pièce. Il choisit d’étirer la scénographie d’une part et d’autre du plateau, créant ainsi un jeu de contre-champ fertile, entre le débat anarchiste à jardin et les discussions autour du pâté et des bières côté cour. Un style cinématographique, musical, polyphonique.

Un écran, au centre, diffuse des images qui semblent d’abord reproduire ce qui se passe sur scène, en direct, mais qui s’en écartent, petit à petit. On a été piégé, c’était un film enregistré. Un coup de pistolet tiré depuis la vidéo, des personnages qui tombent, sur le plateau. La narration se dédouble, deux histoires parallèles se détachent et interagissent entre elles, sans que l’on puisse distinguer si l’une est moins vraie que l’autre.

George Kaplan nous donne à voir la puissance de la fiction, sa capacité à capturer notre jugement, à nous hypnotiser, jusqu’à bousculer nos principes de réalité. Il y a le pire et le meilleur dans les mythes. QAnon, les climatosceptiques, Star Wars et tout Shakespeare.

Ils nous construisent, nous élèvent mais peuvent aussi nous enfermer, nous isoler, nous détruire. Elidan Arzoni déploie un théâtre joyeux et politique. Il met en abyme la puissance de notre imaginaire pour révéler que ce qu’on prend pour le réel, c’est souvent, en fait, une illusion.

George Kaplan , une mise en scène d’Elidan Arzoni sur un texte de Frédéric Sonntag, au Théâtre du Loup, du 23 mai au 4 juin 2023

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Chronique : Léo
Animation : Zebra
Réalisation : Arthur et Raphaël
Première diffusion antenne : 23 mai 2023
Crédit photos: © Carole Parodi
Publié le 24 mai 2023
Modifié le 25 mai 2023

Une publication de Léo


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