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Arts vivantsCultureLa Quotidienne

Genetrix, danser pour renouer avec son histoire

Estelle Sauser | 18 janvier 2022

Sidonie dis-moi, quel héritage nous laissent nos grands-parents ? (..)

Non, je ne parle pas de l’éventuel patrimoine matériel qui nous revient à leur décès. Je parle au sens figuré, existe-t-il des liens invisibles, entre eux et nous, des continuités dans les comportements, dans les envies, dans les postures, voir dans les traumas ?(..)

D’après l’épigénétique, nous garderions des traces dans nos corps des expériences de nos ancêtres. La question se pose d’autant plus lorsque nos grands-parents ont vécu des expériences traumatiques comme la guerre, la famine ou le fascisme.
Ces interrogations sont le fil rouge des trois solos de danse proposés dans le spectacle présenté au théâtre du Galpon, au nom évocateur de Genetrix. Genetrix, les gènes, et ce qu’ils transmettent.

Alliant multimédia et danse, 3 chorégraphes, 3 danseurs qui se livrent et explorent leur passé génétique et familial.
Cette pièce chorégraphique a vu le jour sous l’impulsion de la danseuse australienne, d’origine chinoise, Victoria Chiu. Qui était malheureusement absente lors de la représentation car elle est bloquée en Australie en raison de la situation sanitaire. Comme un certain Novak Djokovic d’ailleurs.. mais là n’est pas le sujet ahah.

Donc, pour la réalisation du spectacle, elle s’est entourée du chorégraphe et danseur Jozef Trefeli, lui aussi australien mais originaire de Hongrie, de Rudi van der Merwe d’origine sud-africaine et au patrimoine afrikaans et de Susana Panadés Diaz, originaire d’Espagne.
Ce melting-pot artistique partage avec le public un bout de son histoire personnelle, dans des performances tantôt évocatrices, tantôt figuratives. Les solos sont indépendants les uns les autres, mais un lien les unis, c’est cette démarche de recherche de son identité profonde.
Jozef Trefeli m’expliquait que chacun d’entre eux à un point d’entrée différents à son héritage et à sa culture. Pour certains ce sera la nourriture qui les lie à leurs origines, pour d’autres des récits qui leur ont été transmis, ou alors une certaine ressemblance physique avec un aïeul.
(..)

Dans son cas, sa démarche a été inspirée par son grand-père qu’il n’a pas connu. Un jour une grand-tante lui a fait remarquer qu’il ressemblait étrangement à son grand-père, dans ses manières d’être et physiquement. Intrigué par ce lien dont personne ne lui avait parlé jusque-là, il s’est plongé dans son passé, celui d’un soldat hongrois pendant la 2e guerre mondiale, qui a été déporté dans une mine en Russie et qui y a survécu. Dans sa performance, Jozef transmet avec émotion l’horreur des camps de travail, la mort omniprésente, mais aussi le retour du camp et l’espoir de l’après-guerre.
(..)

Pour compléter leurs récits, les danseurs ont collaboré avec une équipe de vidéaste nommée « RDYSTDY », pour créer un décor de cinéma immersif. La scène est en fait une pièce, où sont projetés des images et des vidéos sur les murs. L’espace tout entier devient un moyen d’expression, un espace de rituel pour accéder à son moi hérité. Chaque danseur habite singulièrement l’espace, raconte à sa manière son histoire et son patrimoine. Les danses sont cycliques, saccadées, rythmées par les sujets lourds qu’elles tentent de raconter.

Je conçois deux aspirations à cette pièce, premièrement le partage d’une quête personnelle, qui passe par l’interprétation de l’identité et d’une autre la possibilité de rendre hommage au passé douloureux de leurs grands-parents, d’exposer au grand jour les non-dits qui rongent les familles.

Dans sa performance, Rudi van der Merwe explore la brève histoire d’amour qu’a eu sa grand-mère avec un officier allemand durant la 2e guerre mondiale. Mariée à un autre homme toute sa vie, c’est autour de ces 95 ans que la vieille dame a confié avoir toujours aimé cet officier et ne rêver que de lui. A travers des mouvements lents et souples, Rudi incarne son passé. Ses gestes contrastent avec la violence du récit qu’il conte. Tantôt entouré de corps sur un champ de bataille, tantôt d’un champ verdoyant il renoue sans détours avec son lourd héritage et s’en émancipe.

Je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre en me rendant à la représentation, mais le décor immersif, la petite salle du Galpon et les performances m’ont embarquées avec succès. Le cheminement des danseurs leur permet de transcender leurs histoires personnelles et de se tournent vers leur futur.
J’ai trouvé que parfois, les projections éclipsaient la danse mais pour la majorité du temps, elles se complètent et sont une clé supplémentaire pour accéder au message des danseurs.

Et dernière remarque personnelle, je suis resté un peu plus en dehors lors du solo de Susana Panadés Diaz. Le lien entre sa performance et son histoire était plus subtil que pour les deux autres. Sur le moment, je n’étais pas certaine d’en saisir le message. Mais en échangeant après la représentation, j’ai compris que son interprétation était intimement liée à son histoire familiale. Il y a certaines familles où les secrets sont plus gardés et la parole moins libérée. Et au final, c’est aussi une manière d’accéder à son identité.

J’ajouterais que toute l’équipe est chaleureuse et qu’il ne faut pas hésiter à aller discuter avec eux après la représentation, ils vous le rendront bien.
Je vais m’arrêter là car les mots sont limités pour vous transmettre ce qui est raconté avec le corps. Je vous invite à assister à une représentation de Genetrix et de vous laisser emporter par le flot de musique, de mouvements et de paroles dans la narration d’un passé pas toujours facile mais qui vaut la peine d’être écouté.

Vous avez encore quelques jours pour y assister, c’est jusqu’au 16 janvier, au théâtre du Galpon.

Une publication de Estelle Sauser


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