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Envoûtantes métamorphoses au Centre d’Art Contemporain

Léo | 14 mars 2023

Le centre d’art contemporain de Genève expose Chrysalide, le rêve du papillon, jusqu’au 4 juin 2023. Une expérience sensorielle, une invitation à dépasser les limites de nos codes et de nos conventions habituelles pour mieux se laisser aller à la rêverie.

En entrant dans la première salle, on est saisi par l’ambiance. On est dans la pénombre. L’éclairage est finalement découpé sur les contours des images, des sculptures, des installations. Les œuvres baignent dans une lueur surréelle. On entend des sons, de la musique, des bruits, qui viennent de vidéos situées dans les pièces voisines.

Cela pourrait être cacophonique, mais c’est harmonieux. Surtout, cela nous plonge dans un espace à la frontière du rêve, de l’hallucination. Les créations semblent déborder de leurs propres limites, entrer en résonance les unes avec les autres.

Hommage à la métamorphose

Notre culture s’est construite sur des contraires opposés. Le vrai, le faux. La nature, l’humain. Le masculin, le féminin. Mais depuis quelques années, des fissures se forment dans le grand bunker de la modernité.

Des hybrides sont apparus. Des êtres ou des concepts qui refusent de choisir un camp. Qui choisissent de rester neutre, de transgresser l’ordre binaire. La fluidité de genre, les fake news, l’intelligence artificielle, les symbioses, le polyamour, le changement climatique. Des chimères, parfois joyeuses, parfois destructrices. Qui débordent de nos polarités habituelles.

Le directeur du Centre d’art contemporain, Andrea Bellini, présente plus de 200 œuvres de près de 60 artistes très divers. On navigue en Europe, aux Etats-Unis, en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud.

Plutôt que des thèmes ou une chronologie, on suit un parcours composé de façon sensorielle, dans le but de créer une atmosphère, un certain état dans l’esprit des visiteur·ices.

Première salle. Les dessins de Guo Fengyi. Tracés à l’encre sur de longs rubans de papier. Un enchevêtrement de lignes monochromes. Un visage émerge, sur le blanc de la feuille. Mais les courbes le prolongent, le déforment. Comme si la figure ne devait jamais cesser d’évoluer. Quelque chose d’autre apparaît. De plus grand. Végétal, animal et humain sont entremêlés, superposés. Une vision puissante et inspirante d’une humanité hybride, sauvage, magique.

L’exposition Chrysalide: le rêve du papillon nous emmène à la rencontre de personnes et d’objets qui s’épanouissent en dehors des cases. Elle rend visible ce qui bouge, ce qui s’échappe, ce qui fuit.

Troisième étage. Les sculptures de Rachel Rose. Des roches recouvertes d’étranges excroissances de verre soufflé. Des formes blanches, douces, fantomatiques. Elles ressemblent à des méduses, des œufs, ou du mucus. Matière organique, vivante, soudée à la pierre. La plasticienne invoque le trouble de ces fluides étranges, qui débordent parfois de nos propres corps. Gluants, mous, élastiques. Ils nous révulsent parce qu’on ne parvient pas à les ranger. Ils s’écoulent hors de nos catégories.

Ce qu’on montre dans les musées n’est que la trace, figée, immobile, d’une trajectoire qui se fait dans un autre lieu, dans un autre temps. Les spectres de Rachel Rose ne sont pas visqueux, mais ils jouent avec nos sens pour nous faire imaginer une surface gélatineuse, collante, humide. Par ce pouvoir de suggestion, l’art peut approcher cet idéal: celui de donner à voir la métamorphose perpétuelle du réel.

Une petite pièce, dans l’obscurité, pas très bien placée, à côté d’un escalier de service. L’installation qui s’y trouve est celle qui m’a le plus marqué. Descendant, une sculpture de Jacopo Mazzetti. Une ligne noire, fine, qu’on dirait tracée à la main, en suspension dans la pénombre.

Symétrique, elle évoque un insecte, coléoptère ou papillon. Derrière, la lumière de LED minuscules se reflète sur un tissu invisible. Elle forme des halos, flous. Des tâches éblouissantes qu’on n’arrive pas à localiser. A la fois trop proches et trop lointaines pour être nettes. Une illusion d’optique qui nous transporte dans un espace aux distances incertaines.

Quelque chose cloche, et je me laisse aller, à cet entre-deux. J’observe un moment les efforts déployés par mon cerveau pour donner du sens, coûte que coûte, à cette géométrie paradoxale. Et puis il finit par lâcher prise. Par se laisser aller dans l’entre deux. Par accepter la fluidité d’une réalité qui le déborde.

Héraclite et les Drags

Qu’est-ce qu’il y a de stable, au fond ? Tout s’écoule, rien n’est fixe. A commencer par nous-même. Chaque jour, nos cellules meurent, et se renouvellent, par milliard.
Par terre, dans la poussière, dans nos lits, nous laissons chaque année 500g de notre peau. Cette couche qui nous délimite, cette partie si intime de nous même, comme tout notre corps, elle est sans cesse modifiée, remplacée, transformée.

Comme l’a écrit Héraclite il y a 2500 ans, “on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve”. Cette vision d’un monde constitué essentiellement de mouvement ne s’est pas imposée dans la philosophie occidentale. Trop radicale. Si tout change en permanence, comment organiser l’univers, payer ses impôts et retrouver là où on a garé sa bagnole?

Nous avons besoin de repères. La chrysalide est un état passager. Une utopie nécessaire, mais éphémère. Jusqu’au 4 juin 2023, on peut y plonger, le temps d’une visite au centre d’art contemporain de Genève.

Il faut s’y perdre, perdre ses repères, laisser son esprit entrer en résonance avec le travail des artistes. Rêver qu’on s’envole hors de nos carapaces, dans le bruissement des ailes de milliers de papillons.

Chrysalide, le rêve du papillon , une exposition au Centre d’Art Contemporain de Genève

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Chronique : Leo
Animation : Zebra
Réalisation : Raphaël et Arthur
Première diffusion antenne : 28 février 2023
Crédit photo une : Sin Wai Kin – Ivy Tzai
Crédit photo vignette : Mathilda Olmi
Crédit photo fond : Fredy Plaza
Publié le 1er mars 2023
Mis en une le 14 mars 2023

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Une publication de Léo


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