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Dans la solitude des champs de coton: Un western au Poche

Michaël Rolli | 15 novembre 2024

Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès est jouée au Théâtre Poche jusqu’à dimanche. C’est rare de voir une nouvelle mise en scène de l’auteur français qui est mort à seulement 41 ans. Parmi ses textes, on retient surtout la beauté de ses titres et la complexité de sa langue.

Pendant ce spectacle, je me suis senti comme dans un bon vieux western: on est au milieu de nulle part, assis au bord d’une route poussiéreuse, sur laquelle viennent s’affronter deux hommes en face à face. Bon, dans la pièce de Koltès on est plutôt en ville et en pleine nuit, à l’heure où l’homme a laissé la place aux animaux. Pour ça, le théâtre s’est transformé en une ruelle sombre, dans laquelle on assiste à un deal, une sorte de transaction qui doit se faire loin de tous les regards. D’un côté il y a le dealer en costume bleu marine, avec des baskets aux pieds, qui est en possession de quelque chose, mais on ne sait pas trop quoi et, de l’autre côté, le client en marcel rouge, qui cherche quelque chose de tellement secret que même lui n’est pas sûr de savoir ce que c’est.

Si ça semble compliqué comme ça, c’est parce que résumer « Dans la solitude des champs de coton » c’est un peu comme résumer « Inception », on comprend ce qui est dit, mais on n’est pas sûr de saisir vraiment de quoi ça parle. Là, on a affaire à deux personnages qui ont chacun un désir qui n’est jamais complètement exprimé et qui, du coup, se lancent dans une sorte de joute verbale. D’ailleurs tout se base sur ce mot: « désir ». Il est ultra important. Déjà parce qu’il apparaît quelque 49 fois dans la pièce, mais aussi parce qu’il est à l’origine de toutes les actions humaines: le désir d’amour, le désir d’amitié, le désir de l’autre, le désir de l’illégal, bref: « Le désir est désir de rien de nommable » (Lacan).
Dans ce western urbain, tout tourne autour de ça, de cette envie impossible à définir, de ce désir presque érotique de la vie qui peut mener jusqu’à la bagarre. Et pour nos deux cow-boys, la seule arme c’est la langue.

Et avec le texte de Koltès, il faut être plutôt bien armé tant elle est riche en rhétorique.

Elle dit tout, mais en passant par plein de chemins. Donc il faut plutôt bien s’accrocher et bien écouter. Et c’est pas évident, parce que le script est un véritable puzzle. C’est une succession de 38 monologues qui des fois se répondent et qui d’autres fois dévient sur des sujets complètement différents. C’est un ascenseur qui monte en tension presque homoérotique, mais qui ne suit jamais une ligne très droite.

La mise en scène de Maya Bösch met bien en valeur les répliques et l’énonciation de chacune des parties parce que son concept est absolument minimaliste, que ce soit dans les gestes, dans le jeu ou dans la scénographie: il y a une route délimitée par des bancs, des néons au-dessus et d’un côté Laurent Sauvage qui joue le dealer et de l’autre Fred Jacot-Guillermod qui joue le client. Ils se toisent, s’affrontent oralement et ils avancent «lentement, tranquillement, presque immobilement». Quand la confrontation se fait enfin, ça se finit dans une sorte de battle de danse sur de la musique électro, bien loin de l’harmonica de mon western.

Et nous, on est les spectateur·ices de ce duel.

On est de chaque côté de l’action. La salle du théâtre a abandonné son espace frontal pour un espace bifrontal. On encercle l’action et donc ça crée ce truc hyper bizarre qui fait qu’on voit une autre partie du public: nous aussi, on se regarde, on se toise, mais par contre on ne se parle jamais.
Bref, comme les deux personnages, on se retrouve bien seul: comme mis dans un espace qui n’en est pas, dans une sorte d’entre-deux. Et c’est peut-être pas anodin. « La solitude dans les champs de coton » c’est le titre. Alors, on fait la même expérience que ces deux mecs de la solitude. Ces deux mecs qui parlent dans le vide pendant longtemps parce qu’ils en ont gros sur le cœur.
Au Poche, jusqu’à dimanche, c’est un Western qu’on vient voir où on se tire dessus avec des mots. C’est une rencontre fatale entre deux cow-boys, mais aussi entre nous et un texte magnifique. C’est une échappée hors du temps, pour, seulement un bref instant, apprendre une nouvelle langue: la poésie de Koltès.

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Chronique : Michaël
Animation : Emma
Réalisation : Laure et Sébastien
Crédit image vignette : Christian Lutz
Crédits images une et fond : Chloé Cohen
Première diffusion antenne : 13 novembre 2024
Publié le 15 novembre 2024

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Une publication de Michaël Rolli


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