Ceci n’est pas un spectacle sur ma mère, théâtre de l’intime
C’est quand même bizarre, la famille. On se retrouve à Noël, pour les anniversaires, les mariages ou les enterrements… On jette un regard autour de nous et puis il y a tous ces visages que l’on connaît depuis notre naissance.
Un mélange étrange de souvenirs d’enfance, d’ADN en commun, d’émotions à fleur de peau, d’attentes et de déceptions. Les personnes auprès desquelles nous avons grandi, appris, qui nous ont façonnés. On les aime et elles nous énervent. On ne les voit pas assez souvent et pourtant elles sont toujours là.
Quoi qu’en dise son titre, Ceci n’est pas un spectacle sur ma mère nous emmène dans les tumultes des relations maternelles.
On entre dans la salle. Le plateau est vide, comme pour une répétition. Au fond sont empilés des troncs d’arbres nus, en vrac.
Les deux comédiennes de la compagnie Glitzerfabrik, Cléa Eden et Charlotte Riondel, nous accueillent. Elles prononcent quelques mots pour expliquer la pièce. Mais leur introduction ne s’arrête pas. De digressions en parenthèses, elles nous transportent dans leur intimité, leurs souvenirs, leurs questionnements.
La lumière des gradins reste allumée. Le temps passe. Cela fait long pour un préambule. Le doute s’installe. On s’est fait piéger. On attendait un spectacle qui ne commencera jamais, et un autre a démarré malgré nous.
Cléa et Charlotte nous racontent leurs mères, leur ex, leurs colocs. On fait la connaissance de Chouchou, la grand-mère excentrique de Cléa, son goût de la pop italienne douteuse, ses spectacles chorégraphiques improvisés, et son appartement recouvert de photos des représentants de sa lignée.
Rien ne nous est caché, ni les ruptures de Cléa, ni les superstitions de Charlotte. Tous les personnages existent, et les évènements sont authentiques, même si elles avouent qu’elles en rajoutent un peu, évidemment.
C’est comme pour ces légendes qu’on rabâche aux repas de famille. Le fameux grand-oncle contrebandier ou l’arrière-arrière grand-mère poursuivie par des loups. Des contes mythiques, brodés à chaque génération, où l’on ne sait plus distinguer le vrai du faux. Au fond, ce qui est important, dans ces histoires, c’est qu’on les partage, qu’on s’en souvienne ensemble. Cette mémoire collective fait partie de la culture du clan.
On peut être sincère, sans être véridique. Comme Werner Herzog, qui insérait dans ses documentaires des scènes et des témoignages fabriqués pour l’occasion. La compagnie Glitzerfabrik joue à mélanger le réel et l’invention.
La langue est fluide, naturelle, adressée directement au public. On rit. On a l’impression de boire l’apéritif avec des potes. Cléa nous décrit tous les détails de son accouchement halluciné, imaginaire, pendant un trip aux champignons. Son corps devenu liquide, la douleur, puis la sensation d’un être qui apparaît entre ses jambes. Devenir à la fois mère et bébé, perdue dans une étreinte existentielle avec elle-même.
Charlotte nous révèle, les larmes aux yeux que son copain ne veut pas d’enfants, mais qu’elle n’est pas encore sûre de son propre choix.
Cela semble partir dans tous les sens mais le discours suit un fil très précis, qui navigue le long de la relation maternelle, de ses méandres et de ses résurgences inattendues derrière l’amitié des deux artistes.
Cléa Eden et Charlotte Riondel se sont connues à Genève il y a 10 ans. Ensemble, elles ont fondé la compagnie Glitzerfbarik.
A l’origine, elles avaient collecté les témoignages de leurs mamans, pour une première création intitulée Matrices, qui n’a jamais vu le jour pour cause de pandémie de COVID. Un avortement artistique.
Ceci n’est pas un spectacle sur ma mère est à la fois la suite, la résurrection et le fantôme de cette réflexion sur la maternité et la filiation.
Comme la démontré Magritte, les images peuvent trahir, contraindre. Le but n’est pas d’amener sur scène un univers narratif, ni des personnages. Mais d’instaurer un certain état dans l’esprit des spectateurs. Une atmosphère de complicité.
Avec la compagnie Glitzerfabrik, Cléa Eden et Charlotte Riondel inventent un théâtre qui crée des liens, de l’empathie, de l’intimité.
C’est précisément autour de ces sentiments que se structure une famille. Où l’on partage, souvent malgré nous, douleurs, espoirs, joies.
Choisir d’avoir des enfants, ou simplement faire la paix avec ses parents, c’est accepter qu’on n’est pas le héros du film. Que l’on s’inscrit dans une interminable chaîne, dans des enjeux qui dépassent notre échelle individuelle. Comme un flux qui circule, au long des générations et qui nous traverse.
C’est notre bagage, dont on hérite et que l’on transmet. Un attachement irréversible avec celles et ceux qui nous précèdent et les autres qui nous succèderont, dans cette famille, ou dans une autre.
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Chronique : Léo
Animation : Zebra
Réalisation : Ornella
Première diffusion antenne : 10 janvier 2023
Crédit photo : © Compagnie Glitzerfabrik
Publié le 11 janvier 2023
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Daguet.
12 janvier 2023 at 14 h 39 min
Excellent