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CultureExposLa Quotidienne

Behold the ocean reflète les écosystèmes futurs

Radio Vostok | 20 janvier 2023

Quand j’étais plus jeune, les expéditions scientifiques me faisaient fantasmer. Je m’imaginais biologiste, histoire d’être propulsée dans un cadre paradisiaque rien que pour observer les espèces en voie de disparition. Un métier qui t’embarque dans les contrées les plus lointaines, au bout des océans et des continents. Oui Zebra, j’étais une de ces ados exaltées insupportables! Je pensais pas à l’attente, à l’ennui, au manque d’hygiène. Au fait que les météos extrêmes exigent de porter des tenues pas du tout sexy. À 12 ans ça ne m’a jamais non plus effleuré l’esprit, que l’équipage compte dans ses rangs une majorité de mecs relous… J’étais bien naïve. La preuve avec l’exposition Behold The Ocean, à voir jusqu’au 29 janvier 2023 au Centre de la Photographie.

Entre décembre 2020 et juin 2022, Akosua Viktoria Adu-Sanyah, artiste germano-ghanéenne basée à Zürich, s’est embarquée pour deux expéditions maritimes à travers le détroit de Magellan et jusqu’au glacier de Santa Inès, extrémité la plus au sud des Amériques. La photographe accompagne une petite équipe chilienne qui étudie les effets du changement climatique sur l’écosystème marin.

Plus le territoire se rapproche des pôles, plus il est rude et plus il sert de point de référence aux scénarios météorologiques futurs. En chemin, elle les capture effectivement, ces paysages à couper le souffle. La beauté âpre des embruns, des glaciers et des végétaux aquatiques dont je rêvais plus jeune. Mais son appareil s’arrête aussi sur des scènes plus intimes et déroutantes: un autoportrait embué dans la petite salle de bain du bateau, un gros plan de chair rouge, celle de la viande chargée à bord pour nourrir les chercheurs. Akosua ne se contente pas de documenter le voyage. Derrière chacune de ses photos se cache une narration inattendue. Une série de portraits des rares femmes sur le pont, en noir et blanc, manifeste d’un rassemblement à l’air libre nécessaire. Pour libérer les tensions interpersonnelles qu’implique l’exiguïté sur le navire ou pour échapper à la vulgarité émise par la gente masculine. Au seuil des portes, apparaissent les objets du quotidien usés, rouillés, défraîchis, évoquant les limites financières du projet. Sans romantisme ni trash, l’artiste convoque, avec ses clichés, les bruits de moteur et les odeurs de kérosène pour rendre compte du caractère organique d’une telle expédition.

Contrastes marqués et couleurs profondes lèvent le voile sur une forme de précarité à la fois émotionnelle et matérielle qui affecte parfois le travail scientifique. D’ailleurs, une des préoccupations centrales d’Akosua est de chercher comment la pratique artistique peut réellement avoir un impact sur d’autres disciplines. L’une de ses réponses a été de créer une une série de NFT, à partir des images recueillies lors de sa première expédition. Leur vente lui a permis de financer une partie de la deuxième sortie en mer.

Un NFT, pour « non fongible token », est un « jeton numérique natif » relié à un ou une propriétaire, Akosua en l’occurrence. Il correspond à une donnée stockée – ici une photo d’art – et authentifiée grâce à un protocole de chaîne de bloque. Vous savez, la fameuse blockchain, système numérique et décentralisé qui lui donnera sa valeur. En résumé elle a réussi à conceptualiser un modèle alternatif, désinstitutionnalisé, pour financer la recherche scientifique par le biais de son art.

Pour en revenir aux expéditions, elles ont pour but d’étudier deux phénomènes principaux corrélés. D’un côté, celui de l’acidification des océans et de l’autre, celui de l’analyse d’algues brunes appelées varech. Leur présence aurait le pouvoir de neutraliser l’effet dévastateur de l’acidification qui entraîne la prolifération d’algues nuisibles. Celle-ci est provoquée par la fonte des glaciers et le mélange de l’eau douce à l’eau salée. Ce phénomène, aussi appelé « marée rouge », Akosua l’intensifie par ses tirages chromogènes qui posent un filtre écarlate sur la mer houleuse.

Avec ses grands formats majestueux qu’elle développe elle-même à son retour, Akosua nous emporte dans cet univers où les éléments ne sont jamais isolés. De sa voix que l’on peut écouter en scannant un QR code à l’entrée, elle dresse un parallèle entre les surfaces océaniques, épidermiques et photographiques. Considérer ces trois organes boucliers, couches superficielles et protectrices d’un monde fragile, c’est ce que l’exposition nous invite à faire : Behold The Ocean. «Admirez l’océan».
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Chronique : Emilie
Animation : Zebra
Réalisation : Niels, Arthur et Alexis
Première diffusion antenne : 18 janvier 2023
Crédits photos : Akosua Viktoria Adu-Sanyah
Mise en ligne : Emilie
Publié le 20 janvier 2023

Une publication de Radio Vostok


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