Angelina : des stigmates qui collent à la peau
La pièce « Angelina » est reprise dès le 7 novembre 2024 au théâtre du Galpon à Genève. C’est sur le plateau encore en montage que j’ai rencontré Justine Ruchat, qui m’explique sa démarche et ses étapes de création : une recherche qui commence en 2018, un 1er spectacle en 2021, un prix de la Société genevoise des écrivains la même année et une reprise en 2024.
Alors « Angelina » ça parle de quoi ?
Eh bien, tout se passe dans la loge d’une comédienne. Avant de monter sur scène et d’affronter les regards et les jugements des spectateurs, elle s’interroge en observant les habits que son metteur en scène lui demande de porter. Ils sont tous là, ils envahissent le porte-manteau. Une veste à plume blanche, une minijupe et des talons… très hauts : c’est l’assortiment complet de la séductrice.
Qui a bien pu établir cette règle de séduction basée sur l’apparence et sur les vêtements ultra sexy ? Depuis quand les tongs ne suffisent pas pour séduire ?
En tout cas, on a imposé cet accoutrement à la comédienne et elle se prête au jeu. Elle essaie un vêtement, puis un autre. Elle met du maquillage, l’enlève. Une perruque. L’enlève. Bref, elle devient affriolante et même parfois vulgaire. On lui prête même cette insulte : « pute ».
Ce mot, c’est le point de départ de la réflexion et de la recherche de la comédienne. « Pute », un mot devenu banal et qui fait référence à la prostitution.
L’autrice établit d’ailleurs dans cette pièce plusieurs similitudes entre la condition de la prostituée et celle de la comédienne. Elle ouvre son spectacle ainsi « Je donne tout. Ou presque » et poursuit avec « Je suis payée pour donner du plaisir ». Étrange parallèle, qui devient pourtant parfaitement flagrant. Comme la comédienne, la prostituée est soumise au regard. Comme elle, la travailleuse du sexe sera jugée pour sa performance. Comme elle, elle donne du plaisir… mais un tout autre plaisir.
En gros, dans ce spectacle on aborde la sexualité, la prostitution, les limites et le consentement. Pour cette reprise, Justine Ruchat reprend les codes du théâtre pour donner une forme scénique au résultat de ses années de recherches.
Et elle est importante.
Sur le plateau, entre la table de maquillage avec son grand miroir entouré d’ampoules et le porte-manteau recouvert de costumes, il y a toute la matière de la quête de Justine Ruchat. Sur une table basse, un amas de livres : ici, une étude sur la figure de Marie-Madeleine et là, un essai de Virginie Despentes. Justine me présente aussi deux textes qui ont accompagné son étude. D’une part, un travail sur les stigmates et notre façon de placer les gens dans des cases et d’autre part une étude de Gail Pheterson sur deux concepts : celui de la « prostitution » et celui de la « prostituée ».
Angelina est donc une pièce qui ne parle pas uniquement de la figure de la travailleuse du sexe, mais aussi de toutes les femmes.
Et c’est là toute la richesse et la force de ce spectacle : c’est la déconstruction des clichés qui cloisonnent encore notre société. Et des stigmates, il y en a ! Ils nous collent à la peau !
Le théâtre du Galpon se transforme en un exutoire. La comédienne essaie tous les vêtements et on revient toujours à la même conclusion : L’habit ne fait pas la femme !
Pour son spectacle, Justine Ruchat joue avec la frontière poreuse entre théâtre documentaire et la fiction. C’est d’ailleurs la pratique intégrante de la compagnie Théâtre En Quête, qui s’intéresse à des sujets de sociétés, et à des non-dits. Leur processus s’appuie sur la rencontre, sur l’interview et sur la recherche théorique. La complexité étant au final de lui donner une forme scénique.
Quel plaisir de voir ce genre de théâtre se développer dans notre cité calviniste ! Loin du documentaire Netflix, on partage le sentiment et la critique. On en sort avec un regard nouveau sur tous les stigmates qui sont encore trop ancrés dans notre conscience collective.
Bref, c’est un « putain de spectacle » qu’il faut absolument aller voir !
–
Chroniqueur : Michaël
Animation : Emma
Réalisation : Sebastien et Laure
Crédit image vignette : Eric Roset
Crédits images une et fond : Erika Irmler
Première diffusion antenne : 6 novembre 2024
Publié le 10 novembre 2024
Un contenu à retrouver également sur l'application PlayPodcast
Commentaires
Pas encore de commentaire pour cet article.