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CultureLa QuotidienneThéâtre

Adapter Max Frisch et l’érosion des souvenirs

Estelle Sauser | 25 janvier 2022

La pièce dont je vous parle aujourd’hui est adaptée d’un récit de 1979 de l’auteur suisse Max Frisch. Elle sera jouée au Théâtre Poche du 28 janvier au 15 mai, dans une mise en scène signée par le directeur artistique du Théâtre, Mathieu Bertholet.
Je suis allé un peu en avant-première voir la pièce, enfin certaines scènes de la pièce. Oui je me suis rendue à une répétition ouverte à Bergfest, c’est-à-dire à la moitié des repétitions avant la représentation. Je n’ai donc pas vu la pièce en entier mais pour vous situer, je vais d’abord vous raconter les grandes lignes de l’histoire, celle que Max Frisch à écrit il y a 40 ans. Et ensuite je vous parlerai de ce que j’ai vu de l’adaptation au théâtre de l’Homme Apparaît au Quaternaire.

Ça te va comme programme ?

L’histoire se passe dans le val Onsernone dans les alpes tessinoises, où Mr.Geiser, un retraité de 74 ans vit seul. Durant un été pluvieux, très pluvieux. Il ne s’arrête pas de pleuvoir. Il pleut tellement que le service postal est interrompu, que l’électricité est coupée, que le mur de son jardin s’est écroulé et qu’il y a des cailloux dans sa salade.

La pluie est un élément central, c’est la toile de fond sur laquelle s’écrit le récit de Mr.Geiser. Le vieil homme perd progressivement la mémoire. C’est cette pluie continuelle qui réveille ses angoisses de démence et de mort. Et il sait mieux que personne, que sans mémoire, pas de connaissance. Et sans connaissance, pas d’existence.

Alors pour combler ses trous de mémoires progressifs, Mr.Geiser découpe des informations dans des encyclopédies, qu’il colle partout dans sa maison. Sur ses murs, machinalement, il accroche des bouts de papiers qui retracent l’histoire de la terre et de l’humanité. Des infos très factuelles sur des dinosaures, sur les aires géologiques, sur les oiseaux de la région. Ce sont des morceaux savants du passé qu’il tapisse à défaut de les savoir.
Mais il y a aussi des informations que Mr.Geiser connaît par cœur et qu’il se répète dans la journée ; comme les horaires du car postal qui monte trois fois par jour dans le val, la vitesse de la lumière ou le nombre d’or.

On comprend bien l’analogie entre l’état mental de Mr.Geiser, et celui de sa vallée qui se dépeuple, dont les parois s’érode et où les châtaigniers ont le cancer. Coupé du monde, il se rattache à ce qu’il peut pour tenir le cap.
C’est une histoire sur la mémoire, qui contemple notre place dans l’ordre des choses, cet ordre qui nous dépasse et nous écrase. C’est la bataille de ce vieux monsieur contre la solitude et son chemin lent vers la mort.
Voilà le pitch.

Dans son adaptation théâtrale, Mathieu Bertholet a opté pour une scénographie très sobre, avec pour seul décor deux échelles, une qui monte du parterre au plateau, et une autre qui permet d’accéder à un étage supérieur du plateau. Malgré cette simplicité apparente, rien n’est laissé au hasard car cet espace est précisément cartographié. Le parterre c’est la maison de Mr.Geiser. Les 5 comédiens s’y déplacent dans un ballet frénétique, ils collent machinalement les bouts d’encyclopédie, ils écrivent en l’air les infos que Mr.Geiser connaît par cœur, Ils content à l’unisson un récit naturaliste et pratique de la vallée.

Personne et tout le monde est Mr.Geiser, nos 5 narrateurs sont l’écho du dialogue interne du vieux monsieur, ou un narrateur omniscient. C’est comme on veut. Ils expriment ces trous de mémoires, ces obsessions, l’absurdité de son quotidien.

Le décor sobre est intentionnel, car c’est le son et la lumière qui habillent le plateau. Dans cette vallée où il fait noir, dans l’esprit embrumé de Mr.Geiser, la bande son est la pluie continuelle. Ponctuée de coups de tonnerres, tels des sursauts de lucidité dans l’esprit du vieillard.
Pour cette adaptation originale, les comédiens sont libres et une grande place est laissée à la création organique des mouvements et des dialogues. Les corps racontent une histoire complémentaire à celle du texte. A travers leurs gestes, certains mouvements répétés, ils racontent certaines obsessions de Mr.Geiser. Volontairement, les gestes ne sont pas forcément coordonnées avec le moment du texte déclamé. Ils sont des signes précurseurs de la suite de l’histoire. Autant faut-il savoir les interpréter.

Le metteur en scène a insisté pour que ce soit le mouvement général de la pièce qui compte, que l’ensemble soit cohérent et fluide. Les 5 acteurs utilisent tout l’espace du théâtre, se coupent la parole et laissent une grande part à la spontanéité guider chaque représentation.
Je ne peux pas en dire beaucoup plus, mais toute l’équipe a promis que des éléments inattendus de scénographie seront ajoutés, qu’ils n’ont pas voulu nous dévoiler pour garder l’effet de surprise. Sinon je vous aurais volontiers spoilé.

J’espère vous avoir donné envie d’aller voir cette histoire touchante, interprétée avec justesse et ingéniosité. L’équipe de comédiens est composée d’Aurélien Gschwind, Fred Jacot-Guillarmod, Zacharie Jourdain, Céline Nidegger et Zoé Sjollema.
Et je rappelle, c’est au Théâtre Poche du 28 janvier au 15 mai !

Une publication de Estelle Sauser


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