Usage de la force par la police : que dit le droit ?
À Genève, le climat est électrique autour des forces de l’ordre. Depuis le début du mois, plusieurs affaires impliquant la police font polémique et relancent un débat sensible : celui de l’usage de la force. Au micro d’Emma, Léonard Micheli-Jeannet, avocat chez OratioFortis Avocates, tente de nous éclairer : quel est le cadre légal aux actions policières, et que faire quand il est outrepassé ?
Plusieurs évènements ont ravivé le débat quant à la légitimité de l’ampleur des interventions policières à Genève : le 2 octobre, lors du rassemblement en soutien à la Palestine et à la Flotille pour Gaza, des manifestantes et manifestants dénoncent des interventions disproportionnées. Le 17 octobre, c’est au Théâtre du Loup qu’une intervention brutale a eu lieu, choquant le milieu culturel et conduisant à la saisie de l’inspection générale des services. Dans une lettre ouverte, la direction du théâtre s’en indigne, dénonçant notamment qu’une arme ait été braquée sur un comédien du théâtre.
Une question de proportionnalité
Dans ce contexte, notre invité nous explique que le flou dans les débats autour des questions policières se concentre souvent autour de la notion de légitimité de l’usage de la force et de sa proportionnalité. Pour les forces de l’ordre il s’agit donc d’opérer en respectant une certaine mesure : Léonard Micheli-Jeannet souligne qu’ « un policier n’est pas censé sortir […] son arme quand on a une personne qui n’est pas particulièrement dangereuse » et qu’il faut qu’il réponde « de manière proportionnée […] par des moyens adéquats ». Cette notion reste subjective et c’est là le cœur du problème : les agents agissent proportionnellement à la menace qu’ils ont pu ressentir – une donnée éminemment propre à chacun – et beaucoup évoquent alors leur sentiment de peur pour justifier leurs actions.
Malgré tout, des procédures peuvent être entreprises pour juger des violences policières : d’une part la voie pénale, où une personne qui s’estime victime de violences peut déposer une plainte et où les policiers peuvent être reconnus coupables – la réparation des torts ne sera alors pas de la responsabilité du policier mais de l’État. D’autre part la voie administrative par laquelle une enquête se passe à l’interne de la police : c’est alors l’agent en tant que fonctionnaire qui va être l’objet d’une procédure ouverte par ses responsables. Dans ces enquêtes, plusieurs matériaux sont utilisés pour juger les faits, notamment des vidéos. L’avocat rappelle alors qu’« en particulier dans le domaine public, on peut filmer la police » et ajoute que le seul problème que des agents pourraient légitimement y voir est si le fait d’être filmé ou les modalités de prise de vue compliquent l’intervention.
Le recours à la violence dans les manifestations
En évoquant les faits du 2 octobre, notre invité explique que le cadre légal lors d’une manifestation est la LMDPu (Loi des manifestations sur le domaine public) et qu’elle autorise certaines actions spécifiques, comme le droit de disperser, mais qu’elle ne donne aucune légitimité d’agir de manière plus violente que dans d’autres contextes. Ainsi le principe de proportionnalité s’applique toujours et l’avocat souligne que « la présence d’éléments perturbateurs au sein d’une manifestation ne permet pas l’usage de la force ou l’usage de gaz lacrymogènes comme on l’a vu à Genève de manière indiscriminée ». Selon lui, lorsque des personnes adoptent des comportements violents au sein d’un cortège militant, les agents doivent « essayer de les sortir de la manifestation avec le moins de dommages collatéraux à la liberté d’expression et de réunion des autres membres de la manifestation ». En effet, manifester est un droit protégé par le droit international. Mais alors comment comprendre ces notions de manifestations illégales, non autorisées, souvent données comme argument en faveur des actions policières brutales ?
« Le problème c’est que le cas du droit genevois est discutablement conforme aux droits fondamentaux »
Léonard Micheli-Jeannet explique que malgré cette protection par le droit international, les manifestantes et manifestants à Genève ont l’obligation d’avoir une autorisation de manifestation sinon celle-ci est décrétée illicite. Cette autorisation doit être demandée au moins 30 jours à l’avance et est demandée dans un but logistique, afin de déterminer un parcours et de s’assurer qu’il n’y ait pas deux groupes au même endroit. Il faut alors comprendre que « le principe même de l’autorisation n’est pas contraire aux droits fondamentaux, pour autant que ça ne freine pas l’envie des manifestants de manifester ; dès que ce principe d’autorisation ou le cadre de cette autorisation est dissuasif, on a un problème de respect des droits fondamentaux ». Ainsi, pour l’avocat, il vaudrait mieux mettre en place un système d’annonce de manifestation avec une possibilité de veto pour des raisons logistiques car « demande[r] aux manifestants d’annoncer 30 jours à l’avance pour discuter d’un cadre ça ne se justifie pas et ça ne permet pas valablement de respecter le droit de manifester ».
Dans ce contexte, les manifestantes et manifestants encourent plusieurs risques. En effet, les organisatrices et organisateurs des manifestations non autorisées sont susceptibles de recevoir une amende et Léonard Micheli-Jeannet nous explique que, dans ces cas-là, c’est souvent l’entièreté du corps militant qui est considéré comme faisant partie de l’organisation. De plus, puisque les forces de l’ordre ont le droit selon la loi genevoise de disperser une manifestation non autorisée (bien que notre invité souligne qu’il doute de la légalité de cette action par rapport au droit international), celles et ceux s’y opposant commettent alors une insoumission à une injonction de l’autorité, ce qui constitue un délit supplémentaire. Il peut alors y avoir de nombreuses procédures allant jusqu’au tribunal et l’avocat affirme que « cela finit très souvent par des acquittements de manifestants qui avaient été amendés pour participer à une manifestation non autorisée ».
Des pistes pour éviter les débordements
Dans ces circonstances, Léonard Micheli-Jeannet évoque plusieurs pistes pour éviter les débordements. Tout d’abord, plus qu’en termes juridiques, il dénonce « un déficit de formation, de sensibilisation, de compréhension de la part des forces de l’ordre pour qu’ils agissent, dans le cadre des manifestations, sans penser que les manifestants sont des casseurs ». Selon l’avocat, ce manque de formation impacte leur capacité à faire preuve de proportionnalité dans leurs agissements : « ils sont persuadés qu’ils vont faire face à des individus violents et je ne pense pas que ça les aide à apprécier, objectivement, la « menace » à laquelle ils font vraiment face ». De plus, notre invité souligne l’importance pour les personnes manifestantes de connaître leurs droits et de dénoncer les comportements policiers abusifs s’ils ont lieu en se coordonnant pour avoir plus de poids et plus de matériel à disposition pour appuyer la plainte. Pour ce faire, la section genevoise de la ligue suisse des droits humains récolte les témoignages de toute personne témoin ou victime d’abus policier à travers leur adresse lsdh.genev@gmail.com et aide éventuellement à former une plainte pénale avec des avocats mobilisés pour cela.
Et maintenant?
Concernant les cas de l’intervention au Théâtre du Loup, une enquête a été ouverte et c’est maintenant à un inspecteur de l’inspection générale des services de déterminer s’il y a matière à aller de l’avant. Bien que notre invité estime « probable qu’on arrive à un acquittement devant le tribunal », il espère tout de même que ces polémiques ainsi que les alertes lancées par Amnesty sur les répressions policières du 2 octobre permettent une réflexion et une ouverture à la reconsidération du système policier et du cadre juridique genevois.
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Invité : Léonard Micheli-Jeannet
Animatrice : Lola Gregori
Journaliste : Emma Thibert
Réalisateur : Léonard Blanc
Première diffusion antenne : 29.10.2025
Rédaction web : Clara Dietrich
Crédits photo : Clara Dietrich
Publié le 29 octobre 2025
Modifié le 4 novembre 2025 pour mise en une
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