Un polar puissant sur les inégalités en Inde : Santosh
Il y a quelque chose de magique dans un bon livre ou un bon film, c’est sa capacité à nous transporter dans une réalité qui n’est pas la nôtre, à nous faire ressentir les émotions, les sentiments de personnes qui n’ont rien à voir avec nous. Et pour moi c’est cela que l’on vient chercher quand on va au cinéma. Découvrir autre chose, on dit aussi qu’un bon film permet de s’évader et ce n’est pas un hasard. S’évader, c’est finalement souvent s’extraire de sa vie, de ses responsabilités pendant quelques instants. Ouais c’était le petit moment philosophie de comptoir. Bref ce soir on s’évade en Inde et on découvre un monde, un univers que finalement peu d’entre nous connaissent.
Le film de ce soir c’est donc Santosh de la réalisatrice anglo-indienne Sandhya Syri. L’histoire se passe dans une région rurale du nord de l’Inde. Santosh, une jeune femme hérite du poste de son mari décédé : c’est à dire gardien de la paix. Ce qui l’arrange bien car restée à la maison pour s’occuper de sa belle-famille ou de ses parents, c’est pas trop son idéal de vie. Elle atterrit donc dans une caserne de gendarmes dans un petit village provincial (ce qui correspond pour l’Inde à a peu près 100 000 habitants et un taux de pollution uniquement 5 fois supérieur à ce préconise l’OMS). Dans cette caserne tout à fait typique, elle déchante rapidement. Féminisme et intégrité ne sont clairement pas le mot d’ordre principal de l’endroit, ni de la ville d’ailleurs, remarque la région n’a pas l’air me too non plus. Bon voire le pays au final… bref Santosh novice mais pleine de bravoure est appelée sur le lieu du meurtre d’une jeune fille de caste inférieure. Et elle se retrouve plongée dans une enquête tortueuse aux côtés de la charismatique inspectrice Sharma.
On est donc dans le genre policier mais je parlerais même davantage de polar car le film se signale par un côté très noir, très réaliste, presque poisseux tant par la violence qui s’y manifeste que par les atrocités sociales qu’il dénonce. Le côté poisseux, c’est la partie sans concession du récit avec la violence physique ou amorale qui s’y matérialise à chaque niveau de la société. Il n’y a pas d’échappatoire, pas vraiment de lumière au bout du tunnel, la violence se retrouve dans toutes les strates de la société et la police n’est clairement pas épargnée. Le film montre que la corruption morale et les petits arrangements touchent tout le monde et même les meilleures âmes… Clairement c’est pas du Disney. Évidemment la mise en scène du film et l’esthétique de celui-ci renforce ce côté étouffant, par de nombreuses plans de nuit, par des scènes attrapées ici ou là de la vie quotidienne des quartiers pauvres, grouillants, par le côté très frontal, peu aimable des personnages entre eux… et par quelques scènes de violence physique morale qui nous marquent en tant que spectateur…
Dark certes mais c’est une réalité et en plus c’est très efficace pour le récit. Le film dure deux heures, mais il y a très peu de longueur, tu es happé par l’histoire. Et puis surtout le film est très smart. La mise en scène de Sandhya Syri n’est jamais appuyée, et permet d’appréhender la société indienne et ses injustices actuelles de façon brutale mais pas manichéenne. C’est un peu qui aime bien châtie bien. Perso, Je n’avais jamais compris à quel point le système de caste dirige la société indienne – je le savais mais je ne l’avais pas compris- avec les énormes injustices qui en découlent : comme par exemple le fait qu’un assassinat d’un intouchable est un non-événement ou à l’inverse comment les castes privilégiées sont intouchables. Le film aborde aussi adroitement le racisme actuel d’une partie des hindous vis à vis de la minorité musulmane et bien sur la question de la place de la femme en Inde. Alors si tu veux pour te donner une image être une femme en Inde c’est un peu comme être costumière ou figurante dans un film avec Depardieu, on a globalement droit de tout faire avec toi et ça faire rire les copains mecs. Une réplique résume bien l’ambiance générale,je te laisse méditer la réplique d’un policier qui frappe un suspect musulman : pourquoi l’avoir tué, tu aurais pu juste la violer ?
Le film est clairement une charge contre la société sclérosée indienne. Mais attention souvent ces charges peuvent être lourdes et presque desservir leur propos par un manichéisme trop manifeste. Ce n’est absolument pas le cas ici, d’une part parce que le récit est ciselé, très prenant et d’autre part car la réalisatrice ne juge pas ses personnages individuellement. Elle connait le fameux adage « chacun a ses raisons » , son but semble plus de dénoncer les traditions millénaires qui autorisent intrinsèquement les comportements les plus vils envers les moins considérés , les castes intérieurs, les femmes. C’est un problème qui était aussi montré dans le très bon film africain que j’avais critiqué en début d’année : « on becoming a guinea fowl ». D’ailleurs il est intéressant de noter que ces deux films réussis sur la nécessité de faire évoluer les traditions ont été faits par des réalisatrices. Ce qui m’amène à revenir vers mon côté philosophique du début de chronique et de conclure qu’il semble qu’en 2025, les femmes soient toujours plus l’avenir de l’homme, pardon de l’humain.
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Chronique : Johan
Animation : Emma
Réalisation : Theo
Première diffusion antenne : 10 avril 2025
Mise en ligne : Johan
Crédit photo : Sister Distribution
Publié le 13 avril 2025
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