Performer sous surveillance
Surveiller et performer… tel est le nom de la nouvelle exposition du MAMCO. Il me rappelle étrangement un autre titre, celui d’un essai bien connu… oui c’est ça, Surveiller et Punir, du philosophe Michel Foucault. Ouvrage pionnier, paru en 1975, qui dissèque la naissance de la prison moderne.
Derrière le rideau de fer, se trouve un autre type de prison, ce sont environ 250 millions de personnes qui vivent dans les années 70 sous le régime de l’URSS. Pas de cellules, de clés qui tournent et de portes qui claquent mais une surveillance de masse, de la propagande et la censure de toute opposition. Lorsqu’en Mai 68 la jeunesse ouest européenne se libère du carcan de la vieille époque, les régimes communistes et socialistes font face différemment à ce vent de protestation. Sous le joug soviétique, les artistes et les intellectuels doivent redoubler d’efforts pour s’aménager des espaces de création, des espaces de liberté, pour critiquer la société.
Comme par exemple, l’artiste croate (Chanya) Sanja Ivekovic, qui s’allonge sur son balcon un matin de mai 1979. Elle sirote un whisky vêtu d’un t-shirt floqué d’un drapeau américain, mimant la masturbation tout en lisant un livre d’un sociologue britannique. En somme, elle passe du bon temps… Mais, au même moment, sous sa fenêtre défile le maréchal Tito et son cortège présidentiel.
Et c’est là qu’est la subversion, l’intérêt de sa mise en scène. Il est strictement défendu de se mettre à son balcon durant un défilé officiel. Peu lui importe, elle souhaite dénoncer la surveillance de masse, dont fait l’objet la population. Et en tire 4 clichés subversifs. Imaginez-vous, être traqué par les agents de l’état jusque dans votre sphère la plus intime…
La performance de la courageuse Sanja Ivekovic est interrompue par deux policiers qui vont la repérer très rapidement et la contraindre à abréger sa provocation.
D’autres artistes ont osé braver les interdits pour critiquer le régime soviétique. En disjonctant le son, les images, les discours officiels. En détournant la propagande étatique grâce aux photomontages ou des collages.
C’est d’ailleurs aussi depuis son balcon, que l’artiste polonais Jozef Rabakowski œuvre pour son art. Du haut de son perchoir, il a filmé pendant 20 ans, la vie de son quartier de Lodz en Pologne. De 1979 à 1999, il documente les allés et venues de ses voisins, et compile pour chacun leur profession, leur âge, leur passe-temps, même le nom de leur animal de compagnie.
Ce journal de bord retrace autant l’évolution du quartier, que de la société. En se transformant en tour de contrôle, Rabakowski met en évidence la surveillance subie par la population polonaise durant la période socialiste.
Les contemporains est-européens de Mai 68 n’ont pas traversé cette époque de liberté aussi aisément qu’ici , c’est certain, mais ils ont su se réinventer et militer dans leurs espaces. Je ne vous ai cité que deux exemples parmi les multiples œuvres exposées. Mais tout un panel d’artistes originaire d’Europe centrale, est présenté.
C’est une rétrospective qui m’a embarqué et a résonné en moi car l’intrusion dans notre sphère privée, aujourd’hui nous la trimballons dans notre poche. Ce sont des temps pas si lointains qui font écho à des thèmes bien actuels.
D’ailleurs je suis resté un peu sur ma faim. Ce lien avec notre époque, sur les nouvelles formes de surveillances, sur l’intrusion des réseaux sociaux dans notre vie privée, aurait mérité selon moi plus d’espace et d’attention.
Mais je vous recommande tout de même vivement cette visite. Donc rendez-vous au MAMCO, jusqu’au 30 janvier 2022 pour l’expo Surveiller et Performer.
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Chronique: Estelle
Animation : Sidonie
Production : Angie / Nolwenn
Réalisation : Charly
Première diffusion antenne: 24 novembre 2021
Mise en ligne : Estelle
Crédit photo MixCloud: ©Annik Wetter
Crédit photos Une ©Annik Wetter
Crédit photo Background: © Adam Jicha
Publié le 26 novembre 2021
Mis en une le 4 décembre 2021
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