On Falling : exploitation et misère sociale au XXIème siècle
ON FALLING
Bon on va pas se mentir Lionel, ce soir on va parler d’un film qui ne va pas nous remonter le moral. Ce soir, on est dans le pluvieux , le labeur , la solitude et disons le tout de suite , un film dans lequel l’espoir ne déborde pas de l’écran . Si tu n’es pas dans une période facile de ta vie , ce n’est peut-être pas le long métrage idéal sauf si bien sur ton mindset est de te rassurer en comparant ta situation avec une autre situation encore plus poisseuse que la tienne – du genre finalement je suis pas si mal j’ai deux bras, j’ai mangé un morceau de pain hier, je vis dans ma voiture, mais bon ça pourrait être pire franchement, je pourrais porter une tee-shirt de Lionel par exemple. Toutefois , si tu passes au-delà de cette atmosphère un peu sombre, et que la condition humaine t’est chère, tu trouveras en salle un film sincère, sensible et pas mal du tout.
Il s’agit de On Falling. C’est un film anglais – d’où le côté pluvieux dont je parlais – évidemment- réalisé par la scénariste et réalisatrice portugaise Laura Carreira . On falling suit la vie de Aurora une préparatrice de commande dans une entreprise type Amazon. Alors tu connais un peu le travail de préparateur de commande ? il faut imaginer que tu passes ta journée dans un supermarché grisâtre pour récupérer des articles le tout en étant chronométré (la productivité merde). Après il y a des bons côtés , bon si tu es pas assez rapide , t’es viré bon ok . Mais Par contre si tu bosses bien c’est faramineux tu gagnes … une barre chocolatée . Tu n’es pas convaincu ? Tu trouves que c’est un peu minable comme récompense ? Oui mais attends , tu as le droit de la choisir ! Alors c’est pas génial le monde d’aujourd’hui. D’ailleurs c’est tellement bien qu’ils sont obligés de mettre des filets anti suicide dans l’entrepôt.
On falling est un film réaliste, social dans la veine des longs métrages de Ken Loach. Excepté que l’on suit ici les nouveaux exploités du secteur tertiaire et non plus les ouvriers du secteur industriel (forcément il n’y en a plus – ouh la la dans quoi je me lance attention danger propos politique) . Ainsi Aurora est une jeune femme qui a immigrée en Ecosse pour gagner sa vie. Travaillant au plus bas de l’échelle de l’économie libérale, c’est une ouvrière des temps modernes , sous qualifiée, sous payée, lessivée petit à petit dans une entreprise omnipotente et inhumaine. Le parti pris du film est ainsi de la suivre au quotidien, presque comme un documentaire, de sa chambre de coloc à son taf , pendant son déjeuner , puis de retour le soir chez elle. Cette répétition des situations – il y a peu d’enjeu romanesque au final dans le film – permet d’entrer concrètement dans sa vie et de ressentir presque physiquement ses sensations. C’est le point fort du film , nous mettre en empathie avec Aurora et laisser apparaitre naturellement les raisons de son désœuvrement .
Je fais référence à son travail bien-sûr, mal payé et peu épanouissant mais pas uniquement. En effet le film va au-delà d’un constat social ou le mal être reposerait uniquement sur les conditions de travail. On Falling décrit ainsi une forme d’aliénation moderne ou les difficultés de communication nous enfonce petit à petit dans une solitude profonde. Le film regorge de situations qui montre l’isolation sociale de Aurora . Déjà dans son travail qui ne contient aucune interaction ou alors uniquement avec un manager qui lui dit de prendre une barre de chocolat ou sinon d’accélérer la cadence. Dans sa vie personnelle, même topo, elle connait peu de monde et a du mal à se lier avec d’autres. Elle dine ou déjeune généralement seule de sandwichs ou de plats surgelés en regardant son téléphone qui est finalement la seule fenêtre de couleur et de vie dans son quotidien.
Le film montre bien la complémentarité parfaite des outils existants pour aliéner et rendre la société amorphe et individualiste. Tu as d’une part ces métiers basés uniquement sur la productivité directement issue du pire Taylorisme et d’autre part le divertissement qui te permet de supporter ton travail et de te changer les idées . C’est vieux comme le monde mais avec les réseaux et l’outil téléphonique presque greffé à la main , c’est une spirale du vide cynique et pratique qui prend forme sous nos yeux. Et ça On Falling nous le décrit parfaitement. Chacun reste dans son monde, la solidarité et le partage deviennent l’exception. Même la plupart des interactions entre humains sont creuses et stéréotypées, ainsi un gimmick revient souvent dans le film, ce sont les conversation entre collègues ou amis au second plan, qui portent uniquement sur la vision d’une série type Game of Thrones. Image de l’aliénation de nos esprits incapables de sortir de ce que les plateformes nous donnent à manger.
On falling n’est pas un film très optimiste. Le désenchantement au monde et la difficulté de survivre au quotidien fait qu’il y a peu de portes de sorites à la situation d’Aurora. Finalement le seul véritable espoir repose dans la fraternité qui ressurgit quand l’entreprise se grippe. Chacun ressort alors de sa bulle pour revivre avec les autres. C’est le côté optimiste et politique du film. C’est peu mais clairement on ne vit pas vraiment dans un monde de bisounours. En résumé , On falling – ok- n’est pas le film le plus exaltant de l’année mais il évite les pièges du film social grâce à sa mise en scène sobre et subtile. Surtout il se démarque par sa réussite à nous faire ressentir la béance existentielle de son héroïne. Béance et désœuvrement qui nous touche tous d’une façon ou d’une autre, et ce n’est pas la vue du tee-shirt qui va me contredire .
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Chronique : Johan
Animation : Lionel
Réalisation : Théo, Chloé , Bryce
Première diffusion antenne : 16 octobre 2025
Crédit photos : Frenetic Films
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