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« La meilleure place » au Crève-Coeur

Michaël Rolli | 31 mars 2025

Qui ne s’est jamais demandé s’il était à la bonne place dans sa vie ? Sincèrement, c’est une question que je me pose constamment : est-ce que je suis bien dans mon travail ? est-ce qu’étant le benjamin de la famille je n’ai pas eu plus de chance que mon frère ? et qui ne s’est jamais demandé s’il était né à la bonne époque ou s’il était allé voir la bonne pièce ? D’ailleurs c’est pénible, hein, après une longue journée de travail, on veut profiter un peu, se détendre et voir un spectacle et là, c’est galère… C’est vrai, avec tous les festivals, les propositions culturelles à droite et à gauche, on peut se demander dans quel théâtre on sera à la meilleure place. Et ça tombe bien ! Le théâtre du Crève-cœur à Cologny propose la dernière création de la compagnie Volodia : « La meilleure place » écrite par Manon Pulver et mis en scène par la genevoise Nathalie Cuenet. La pièce a été imaginée spécialement pour ce théâtre qui est comme un écrin avec une vue imprenable sur le lac, ce qui permet de vivre ce huis clos dans lequel trois sœurs se retrouvent pour un repas, dans la plus grande intimité.

T’as aussi l’impression d’avoir déjà entendu ça ?

Il y a un rappel assez évident aux « Trois sœurs » de Tchekhov, tu sais, cette très longue pièce où on suit une famille qui voit son monde s’étioler petit à petit, entre mariages ratés et le désespoir de n’avoir rien construit ni rien entrepris… bref une histoire fun, qui parle du temps qui passe, d’ennui, de travail et de rêves qui ne se sont jamais réalisés… Pour le Crève-cœur c’est quand même différent. Le texte de Manon Pulver s’inspire de certaines thématiques, comme le temps qui passe et le désespoir des rêves irréalisés, mais aussi de la structure du texte de Tchekhov, puisqu’elle mêle avec brio le dialogue banal au discours philosophique. Grande différence avec le magnifique l’auteur russe, cette pièce est bien plus légère, plus drôle et ne tombe pas dans une lourdeur. Autre différence majeure : l’histoire de Pulver se passe dans un futur… pas très lointain… en fait nous sommes en 2045. Donc dans une époque où la technologie est encore bien plus présente – d’ailleurs les personnages de la pièce communiquent avec des implants dans le cerveau, et ça bah Tchekhov, il y avait pas pensé – c’est aussi une époque où l’humain a encore plus la soif de tout contrôler, jusqu’à l’écoulement du temps, le déréglant complètement, à tel point que certaines personnes on vieillit plus vite que prévu et d’autres ont gardé la jeunesse éternelle…

Ambiance BlackMiror tout ça…

D’ailleurs il y a des sortes d’éclairs, de flashs qui ponctuent la mise en scène, comme un glitch, un bug dans l’univers. Dans « La meilleure place » tout se passe avant un repas de retrouvailles. Il y a Ilda sans « h » jouée par Barbara Baker, Matcha avec un «t » (Caroline Gasser) et Gia (Léonie Keller). Les trois frangines se retrouvent pour entendre les successions après le décès du père. On attend donc le notaire, Maitre Fautiaux et une invitée surprise qui… sans spoiler ne viendront pas. Là, les discussions entre les trois sœurs commencent et tout tourne – vous l’aurez compris – autour de la place. Prenant le point de départ de la place dans la famille : cadet, benjamine, aînée, le fil rouge est tissé et s’étend sur toutes les thématiques : travail, amour, jeu, ou même simplement autour d’une table.

Beaucoup de dialogues… mais on ne tombe pas dans la palabre philosophique.

On ne boude pas notre plaisir comme dirait l’autre. La mise en scène de Nathalie Cuenet est superbe, dynamique et laisse une grande place au texte, tout en évitant les temps morts. Si le thème de la place est symbolisé par les quelques chaises disséminées sur le plateau, c’est surtout la communication qui est mise en valeur dans cette mise en scène. Tout tourne autour des conversations : et ce qui est génial, c’est que les sœurs ne se disent pas tout. En face elles ont des propos banaux et prennent le public en aparté pour faire des commentaires et des réflexions plus philosophiques, nous entrainant dans la réflexion. En tout cas, ça en dit long sur notre façon de communiquer, notre éloignement d’autant plus à l’ère des réseaux sociaux. Qu’adviendra-t-il de notre communication quand il ne restera plus que des téléphones ? Ou plutôt des implants dans notre cerveau censé nous aider à communiquer, comme c’est le cas dans la pièce.

Fataliste…

Bon pas vraiment. C’est justement la force de la pièce. C’est un pessimisme optimiste. La vision que l’autrice se fait du futur est certes une sorte de dystopie, mais elle a de l’espoir dans la capacité de l’humain à se retrouver.

J’étais donc à la meilleure place. Et en rentrant, car pas de bus ni de vélo… j’ai dû marcher et ça m’a permis de réfléchir et je me suis quand même demandé quelles étaient les meilleures places dans la vie. Petit tour d’horizon :
1. En voiture, malgré ce qu’on dit c’est clairement le passager avant. Là : tu gères la musique, tu gères les chips et généralement tu es en possession de la seule bouteille d’eau de la voiture et t’es surtout la seule personne qui profite de la vue… derrière, tu te prends la clim en plein visage et tu gardes les sacs… condamnés à chercher par moment au fond d’eux pour trouver les lunettes de soleil de celui de devant.
2. Sur un canapé trois places : clairement le côté qui est le plus éloigné d’une porte. Là tu ne te lèves plus, et surtout tu évites la place du milieu, on est tout serré, et y a ce moment gênant où tu sais pas si tu peux laisser tes cuisses toucher celles des autres, du coup t’est crispé et pas à l’aise.
3. Autour d’une longue tablée (pour les fêtes) : loin de l’hôte qui reçoit et qui préside généralement et surtout pas en face. Il faut aller dans cet entre-deux, un peu l’espace des enfants, là où le vin n’arrive pas, mais seulement les sodas ou le vieux champomy qu’on a gardé de l’année passée. Mais c’est surtout parce que c’est un angle mort, on n’est jamais dérangé, ni pour servir ni pour entrer dans les conversations chiantes.
Bref… « La meilleure place » c’est cette petite question qui nous suit partout, mais aussi une très chouette pièce au Crève-Cœur jusqu’au 6 avril.
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Chronique : Michaël
Animation : Emma
Réalisation : Sébastien et Marlon
Crédits images : Loris von Siebenthal
Première diffusion antenne : 26 mars 2025
Publié le 31 mars 2025

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Une publication de Michaël Rolli


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