Jouer avec le feu et se brûler les ailes
Un, deux, trois, partez feu pour cette chronique sur le dernier film de Muriel et Delphine Coulin, j’ai nommé « Jouer avec le feu ». C’est une adaptation du livre « Ce qu’il faut de nuit » de Laurent Petitmangin que j’ai d’ores et déjà très envie de lire.
C’est l’histoire d’un coin de France comme il en existe mille autres. On découvre tout d’abord Pierre, la soixantaine, caténairiste – petit point vocabulaire, pour celles et ceux qui comme moi ne savent pas ce que fait un caténairiste. Le caténairiste s’occupe de l’installation de nouveaux équipements ainsi que de la maintenance des supports et des installations électriques des réseaux ferroviaires. Ne me remerciez pas.
On découvre les deux fils de Pierre : l’aîné Félix dit Fus, gaillard jovial et énergique et le cadet Louis, plus discret et introverti.
La mise en scène est assez humble, pas de fracas, rien de dynamique : beaucoup de plans d’ensemble et de plans fixes. Mais ça sert l’intrigue : c’est un film sur le quotidien, le maintenant, le partout. C’est l’irruption du réel au cinéma notamment avec cette scène tournée dans un vrai stade pendant un vrai match de l’équipe de Metz, décisif qui plus est pour sa montée en ligue 1. C’est aussi une maison banale, figée dans un style vieillot avec la table cirée et le sol en lino.
A mesure que l’histoire avance, Louis réussit ses études et part pour la Sorbonne à Paris alors que Fus décroche de sa formation, choisit les mauvaises fréquentations et sombre dans la violence des groupuscules d’extrême-droite.
Si l’actualité politique m’interdit de trouver des excuses aux personnes qui choisissent l’extrême droite comme projet collectif, le cinéma en revanche cherche à représenter les humains dans toute leur complexité et leurs paradoxes.
Et ce film le fait très bien. Peut-être encore plus que le parcours de Fus, c’est celui du père, Pierre, que nous suivons. Ce père aimant mais seul depuis la mort de sa femme, attaché à des valeurs de tolérance et de solidarité qui voit impuissant son fils glisser dans des théories de haine et de racisme. Il sait que ça va mal finir, il voit venir et il refuse de minimiser la gravité de la situation.
Fus, on le voudrait presque comme ami au premier abord. Mais sous le vernis des blagues, c’est la violence qui bouillonne, qui apparait à chaque altercation ou désaccord. Volontairement interprété la bave aux lèvres en permanence, comme un chien enragé ou un lion en cage, prisonnier du bourbier d’une ruralité délaissée, il alterne entre l’amour pour son frère, son côté sympathique et la violence décomplexée et l’aliénation à des idées de haine.
Louis est un personnage plus effacé. J’ai trouvé ça dommage au départ. C’est pas parce qu’on est un étudiant brillant en lettres à la Sorbonne qu’on est forcément un intello timide. Mais en y réfléchissant, je pense que c’est fait exprès. Il représente cette gauche française urbaine, coupée du reste du territoire, qui a toutes les difficultés du monde à porter ses idées, idées qui sont comme le personnage, timides et effacées.
Les réalisatrices ont choisi de se concentrer sur les répercussions de ce choix plutôt que sur le pourquoi. Ainsi le récit est parfois fracturé, il semble manquer des bouts et on reprend en route sur les conséquences de cette dérive pour la famille. Parce que la question est plutôt là : Quand est-ce qu’on ne reconnait plus un frère ou un fils ? Est-ce qu’on cesse de l’aimer ?
Les trois acteurs principaux, Vincent Lindon, Benjamin Voisin et Stefan Crepon sont remarquables. Le trio fonctionne à merveille, il y a une réelle alchimie entre les comédiens et on croit vraiment à la complicité et à l’amour inconditionnel de cette cellule familiale. Jetez un œil à l’affiche : c’est bien d’amour paternel dont parle le film. Mais malgré l’amour, on peut choisir de jouer avec le feu et de se brûler les ailes.
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Chronique : Sophie
Animation : Emma
Réalisation : Sébastien et Laure
Première diffusion antenne : 22 janvier 2025
Crédits photos : Ad Vitam Distribution
Mise en ligne : Sophie
Publié le 10 février 2025
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