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CultureExposLa Quotidienne

Jean Revillard, la précarité esthétisée

Céline | 16 juin 2024

Jean Revillard aimait mettre en lumière ce qu’on ne veut pas voir. Ce photographe genevois, plusieurs fois primé pour ses reportages sur les gens qui vivent à la marge de la société, est décédé subitement en 2019 à 51 ans. Cinq ans après sa disparition, une expo en plein air intitulée « Retour forcé à la vie sauvage » lui rend hommage.

Une cabane faite de bric et de broc, de matériaux sans valeur trouvés ci et là au hasard d’une errance. Sur ce terrain vague broussailleux du nord de la France, c’est le monde de la débrouille à l’état pur. Les palettes de chantier servent de chape, les bâches déchirées remplacent les toitures et les vieilles couvertures font office d’isolant. Quant aux arbres morts, on s’en sert pour faire sécher son t-shirt.

C’est un paysage de désolation qui s’affiche devant moi où seul l’abri de fortune est illuminé, d’une lumière froide et directe. L’ambiance apocalyptique qui s’en dégage me prend aux tripes. La photo m’attire autant qu’elle me glace. Elle à la fois terriblement belle et puissante, et en même temps, il y a quelque chose qui me heurte : cette détresse sublimée par le photographe, ça fait bizarre.

Les 28 clichés de Jean Revillard sont à découvrir sur des grands panneaux dans le parc des Bastions, face à l’uni. L’expo a été mise sur pied par la bibliothèque de Genève. C’est elle qui a hérité de toutes les archives du photographe. Entre nous, c’est un peu un cadeau mi-généreux mi-empoisonné. Le fonds est constitué de centaines de milliers de photos à trier, conserver et valoriser…

Autant dire que pour cet hommage, un choix drastique a dû être fait. L’avantage avec Jean Revillard, c’est que plusieurs de ses reportages ont reçu des prix prestigieux. La bibliothèque a donc choisi de reprendre certains de ses plus grands clichés. Dans sa sélection, elle a aussi veillé à toujours respecter cette ligne directrice qui était la boussole du photographe : montrer des gens ordinaires forcés à revenir malgré eux à un état sauvage.

Ces gens, ce sont les migrants de la jungle de Calais qui se construisent des cabanes au milieu de rien ; c’est Dimitri, un papi grec qui a fui la violence de la rue en se réfugiant sur une colline d’Athènes ; c’est Emma, une électrosensible qui vit au milieu de la forêt là où les ondes ne l’atteignent pas ; C’est Sara encore, une jeune africaine que le photographe a rencontrée sur un chemin de campagne au nord de Turin. Toutes les nuits, elle se fait un feu et se prostitue pour rembourser le passeur qui la fait venir en Europe.

Le point commun de toutes ces histoires, c’est qu’elles parlent d’injustice, de précarité et d’exclusion. Ça peut nous paraître loin de notre vie genevoise. Mais au fond, ces gens, ça pourrait être nous aussi. Ce point de bascule qui nous fait tomber brutalement dans la marginalité, il est très vite arrivé. Et à des degrés différents, on l’a toutes et tous déjà ressentis un jour.

Sur presque chaque cliché, il y a cette lumière particulière. En fait, c’est tout simplement la marque de fabrique de Jean Revillard. Il photographie la misère comme une personnalité connue. Il utilise un flash puissant pour illuminer la personne ou l’objet qui l’intéresse, et il assombrit le reste.

Le photographe disait qu’il fallait rendre les choses belles pour qu’on ait envie de les regarder. Ça m’a questionnée. J’ai pris alors le problème dans l’autre sens : comment capter les situations tragiques si on trouve indécent d’esthétiser la pauvreté ? En étant cru, on verse vite dans le trash ou le voyeurisme ; en ne montrant rien, on renforce les tabous ; et en s’économisant un vrai choix, le risque est de faire une photo banale qui n’aura aucun impact.

Bref, je n’ai pas trouvé de réponse. mais, au final, je crois au pouvoir de l’intention. Et l’intention de Jean Revillard, c’était de montrer ce qui reste d’humanité quand la vie nous met à nu. Qu’est-ce qu’on devient quand on n’a plus rien, qu’on est réduit à notre condition d’être humain en quête d’une vie meilleure ? Cette vulnérabilité profonde, qui nous guette toutes et tous autant qu’elle nous relie, on peut dire ce qu’on veut, mais elle est belle. Et elle, elle vaut la peine d’être magnifiée.

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Chronique : Céline
Animation : Emma
Réalisation : Sébastien
Crédit image: Jean Revillard
Première diffusion antenne : 5 juin 2024
Mise en ligne : Céline
Publié le 16 juin 2024

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Une publication de Céline


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