Immersion dans les montagnes avec Bergers
Je ne sais pas vous, mais moi je me suis souvent retrouvée à dire, après une journée éreintante ou une actualité politique désespérante, que j’allais tout plaquer pour élever des chèvres dans le Larzac. Alors au fil des ans, l’espère animale et la situation géographique ont été amenées à évoluer : des poules en Creuse, des minis poneys en Bretagne ou encore des ânes dans les Pyrénées – au mépris le plus total des spécificités régionales – mais l’idée reste la même.
Et finalement, je suis toujours ici. Je n’ai jamais sauté le pas, mon envie d’ailleurs n’a d’égale que ma parfaite connaissance de l’écart abyssal entre l’image romantisée de la vie à la campagne et la réalité du terrain.
Mais certains s’y jettent ! C’est le cas de Mathyas, notre héros du jour, qui a quitté son Canada où il travaillait dans le marketing pour redonner un sens à sa vie dans le sud de la France. Mais pas n’importe quel sens, non, il veut revenir à l’expérience la plus pure du pastoralisme en devant berger.
Alors, le film « Bergers » de Sophie Deraspe nous embarque dans un schéma narratif qui n’a rien d’extraordinaire pour un film dit d’initiation. Mathyas est un littéraire, il a tout lu, connait tout, débarque avec ses grandes idées théoriques mais sans rien connaitre du terrain ou du concret. Les débuts sont difficiles, il se confronte à l’environnement, aux gens du coin. Il est d’abord moqué, un peu bisuté. Puis vient l’apprentissage, les échecs, l’envie d’abandonner et enfin la consécration. Schéma narratif classique, certes, mais que c’est beau que ce petit film franco-québécois ! Avec une jolie façon de lier les étapes du récit et la mise en scène.
Et oui, au début, c’est magnifique. Ça démarre dans le sud de la France, dans un petit village comme on en rêve pour ses vacances. Le soleil, la place du village, le pastis, la pétanque. C’est le temps des rêves, on l’a dit, Mathyas a une image d’Épinal du métier de berger.
Nos valises sont prêtes !
Sauf qu’on va quitter la Provence des petits villages à touristes pour un arrière-pays moins flatteur, plus pelé, sec, aride, abrupt. Loin de l’image idéalisée de la transhumance et de la beauté des montages. Sa première véritable expérience de berger le confronte à la réalité. Celle de la dureté du métier et des tâches quotidiennes, l’absence de confort certes mais surtout celle de la misère de beaucoup d’éleveur·euses, un désespoir qui pousse à la folie mais aussi la maltraitance animale la plus sadique. C’est une deuxième partie plus rustre. Ce qui était un rustre pittoresque devient glauque : le rapport aux autres bergers, aux éleveurs, le choc des cultures qui pouvait faire sourire se mue en conflits, brutalité et violence. Le point de non-retour pour Mathyas intervient dans le rapport aux moutons avec une maltraitance animale qu’il n’avait pas imaginée.
A deux doigts de renoncer, arrive le miracle, une autre éleveuse, bienveillante lui confie un troupeau à mener dans les vastes pâturages des montagnes. Bon c’est bien parce que celle-ci, elle a plus de thunes, donc c’est un poil plus facile, les conditions sont meilleures. Et surtout, enfin, la transhumance, la cabane à flanc de montagne, dans les prairies et la vue sur les sommets. Le coin est sauvage et terrifiant mais magnifique.
La nature est omniprésente dans le film ce qui en fait une réussite en termes d’immersion dans cet univers complété par un côté très docu et réaliste grâce à des acteur·rices qui ont empoigné leur rôle d’éleveur·euses avec une grande précision.
Le seul point noir pour moi, c’est l’occasion manquée de faire vraiment dialoguer les néo ruraux bobo écolo universitaires de la ville dont les visions sont souvent théoriques et idéalisées et les éleveur·euses des campagnes qui connaissent la réalité et le terrain mais ont parfois de la peine à prendre en compte certains changements. Les deux parties ont des choses à apprendre l’une de l’autre mais le film ne fait que mettre en parallèle les idées sans jamais les faire vraiment dialoguer. Alors que Mathyas, le littéraire, beau parleur, romanesque, qui a toujours le bon mot à chaque situation, éprouve le choc entre théorie et pratique, il n’arrive pourtant pas vraiment à faire le pont entre les deux. Dommage avec son petit air et son sourire à la Henry Cavill, c’était un super homme tout trouvé. Super homme – Superman, vous l’avez?
Un superman rejoint dans son aventure par Elise, une fonctionnaire solaire qui quitte tout du jour au lendemain. Qui eut cru que les démarches administratives françaises pouvaient se transformer en charmant moment de séduction?
Bref, allez voir ce beau petit film qui n’a pas la prétention de révolutionner le genre mais qui l’explore avec des belles images et de très bon·nes comédien·nes.
J’y vais, j’ai ma horde de béliers qui m’attend pour partir dans les Hautes Alpes !
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Chronique : Sophie
Animation : Emma
Réalisation : Laure
Première diffusion antenne : 7 avril 2025
Crédits photos : Agora Films
Mise en ligne : Sophie
Publié le 14 avril 2025
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