Love me tender : un film moderne, sensible mais inabouti
Ne pas se fier au titre, le film de ce soir est tout sauf un film sentimental ou une comédie romantique tendance guimauvesque. Love me tender – puisqu’il s’agit de son titre- montre de la tendresse mais son matériau de conception est dur et implacable. C’est tout sauf une surprise quand on sait que ce long métrage a été adapté du livre éponyme de Constance Debré. Pour celles et ceux qui ne connaissent peut-être pas cette écrivaine, celle-ci vient d’une famille française prestigieuse. Sans remonter trop loin dans sa généalogie, il suffit de citer son oncle Jean Louis Debré, ancien ministre et président du Conseil Constitutionnel ou le père de lui-ci Michel Debré ancien premier ministre considéré comme un des pères de la cinquième constitution en France. Bref une famille bourgeoise avec un certain pedigree.
Mais Constance Debré n’est pas fait du même bois. Elle a suivi pendant une période de sa vie les traces de ses aïeuls en s’investissant dans une vie bourgeoise assez classique, avocate au barreau de Paris, mariage, enfants. Et puis, à un moment, elle ne s’y est apparemment plus retrouvé et a tout quitté ou changé : boulot, sexualité, mari, propriété. C’est une reconstruction totale sans demi-mesure. Fin des statuts, fin de l’argent, fin des conventions. Et c’est ce qu’elle racontait dans ses livres d’auto fiction Play boy ou Love me tender. Livres considérés comme assez trash et sensibles à la fois car écrits sans concession, dans une quête de vérité et avec une justesse des mots qui blessent sans s’excuser. Voilà le contexte général.
Le film écrit et réalisé par Anna Cazenave Cambet débute au moment où l’héroïne séparée de son mari, lui annonce qu’elle commence à dater des femmes. Il ne le prend pas très bien visiblement puisqu’il décide alors de tout faire pour que son fils ne voie plus sa mère et évite ses mauvaises fréquentations. Pour cela il l’accuse même de pédophilie – ce qui est d’une dégueulasserie totale mais d’une efficacité réelle aux yeux de l’administration. Dans le même temps Clémence (la mère -alter ego de Constance Debré) qui a quitté son job d’avocate pour devenir écrivaine, commence à tirer la langue côté financier. Le film suit donc le combat de cette mère pour voir son fils Léo, combat particulièrement frustrant et terrible tant la justice semble incapable de protéger la relation mère /fils. Cependant Love me tender ne se borne pas uniquement à ce thème. Il explore également l’émancipation sexuelle et amoureuse de Clémence.
Love me tender se déroule sur plusieurs années entre Paris principalement et la campagne ou Clémence va visiter son père. Les scènes parisiennes alternent entre rencontres amoureuses et amicales dans le milieu queer, soliloques de Clémence dans sa chambre ou pendant ses longueurs à la piscine et entrevues ou tentatives d’entrevue avec son fils (la tristesse et frustration en bandoulière). Au final elle n’arrive à voir Léo que quelques rares fois par an, les rendez-vous dans une structure spécialisée étant espacés de plusieurs mois faute de présentation de l’enfant par le père. Le film montre d’ailleurs très bien l’impuissance terrible de l’individu face à la lourdeur de la machine administrative. Impuissance d’autant plus frustrante que Clémence fait tout dans les règles. J’en profite pour glisser que Vicky Krieps est parfaite dans ce rôle de nonne ? guerrière des temps modernes en apportant douceur et puissance au personnage
Cela pourrait ressembler à un film dossier mais Love me tender va au-delà de ça. Certes Il est structuré autour de l’avancée ou des déconvenues de Clémence dans son combat pour son fils mais comme je te le disais c’est aussi l’histoire d’une émancipation. La réalisatrice suit son personnage principal dans la découverte des abimes de sa nouvelle vie, de son nouveau moi – on pourrait presque parler de renaissance et en particulier ses relations amoureuses avec d’autres femmes. Clémence avance ainsi telle une stoïcienne des temps modernes, marchant droit au bord du précipice avec force, amour et courage, acceptant avec autant de constance les petites merveilles de la vie que les désillusions. Au-delà de l’histoire, Love me tender, par ses monologues littéraires, ses aspirations esthétiques, sa belle lumière évite l’ornière du film social – c’est-à-dire le côté documentaire parfois trop monotone. Bref la réalisatrice réussit à donner au film une esthétique moderne et stylisée.
Cela ne fait pas un mauvais film mais j’avoue être resté sur ma faim. Love me tender un peu redondant, il est quand même long (plus de deux heures) et sa structure répétitive a fini par me lasser. C’est d’autant plus dommage qu’un des sujets les plus intéressants du livre est finalement peu traité : comment par devoir envers soi-même, envers ses valeurs, ses envies profondes, on peut se délester de toute attache physique ou sentimentale. Cette question posée par le livre manque de matérialité dans le film. La transformation totale et inflexible de sa vie est ainsi reléguée au second plan derrière une simple question : va t’elle renouer avec son fils. Or le sujet vraiment provocant et anti bourgeois aurait été : peut-on se détacher d’un enfant par choix pour s’accomplir individuellement ? Après c’est un film tout à fait honnête, avec une belle mis en scène, des acteurs justes. Et en plus on retrouve avec plaisir le trop rare Feodor Atkine. Mais j’avoue que si je dois parler d’amour pour définir Love me tender, cela aura été pour moi l’expérience d’un amour poli voir placide plutôt qu’une relation tendre et inoubliable.
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Animateur : Lionel
Chroniqueur : Johan
Réalisateurs : Alexis et Léo
Crédits Photos : Adok Films
Première diffusion : 11.12.2025
Date de publication : 15.12.2025
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